Grande-Bretagne - Référendum en Écosse : entre nationalismes réactionnaires

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novembre 2014

Avec ses 5,3 millions d'habitants (moins de 10 % de la population britannique) répartis sur le tiers nord du territoire britannique, l'Écosse connaît depuis les années 1970 une résurgence nationaliste dont la dernière manifestation a été le référendum sur l'indépendance du 18 septembre dernier. Les nationalistes du Parti national écossais (SNP en anglais) y ont perdu leur pari. Mais, si l'on tient compte des moyens considérables des partisans du Non, grâce au soutien des trois grands partis britanniques, le fait est que les 55,3 % obtenus par le Non sont loin de constituer une victoire écrasante.

Mais ce résultat n'indique pas grand-chose sur l'attitude des électeurs vis-à-vis du nationalisme écossais, ni d'ailleurs vis-à-vis du nationalisme britannique partisan de l'intégrité du Royaume-Uni.

Comme c'est en général le cas dans tout référendum, une partie des électeurs, sinon la majorité, ont cherché à se servir de leur bulletin de vote pour exprimer des sentiments sans rapport avec la question posée, en particulier à l'égard de la coalition du Parti conservateur et du Parti libéral-démocrate dirigée par David Cameron à Londres. C'est cela, bien plus que l'intérêt suscité par l'indépendance écossaise elle-même, qui semble expliquer la participation électorale sans précédent (près de 84 % des inscrits) à ce référendum.

C'est ainsi que des bastions ouvriers traditionnels du Parti travailliste, comme Glasgow en particulier, ont défié les consignes de ce parti en donnant la majorité au Oui, afin de faire de leur vote une condamnation de la gestion pro-patronale de la crise par le gouvernement de Londres. Une autre partie de l'électorat travailliste traditionnel a sans doute voté Oui pour affirmer son rejet d'un système politique qui permet au Parti conservateur d'arriver au pouvoir à Londres alors qu'en Écosse il ne représente pour ainsi dire rien - les conservateurs n'y ont qu'un seul député au Parlement de Londres, contre 41 travaillistes et 11 libéraux-démocrates.

À l'inverse, une partie de l'électorat petit-bourgeois qui s'était laissée séduire par la démagogie du SNP lors des élections au Parlement écossais de 2011, lui assurant la majorité absolue, semble avoir voté Non, moins par rejet du nationalisme que par peur des conséquences de l'indépendance pour leur propre statut social. Une autre partie de ce même électorat petit-bourgeois a peut-être également voté Non par déception face au clientélisme et aux pratiques corrompues des institutions régionales écossaises.

Cela étant, le résultat de ce référendum est loin de marquer la fin du nationalisme écossais, aussi anachronique qu'il puisse paraître. À la fois parce que ce nationalisme a des racines anciennes, mais surtout parce que, dans une période où la classe ouvrière est absente de la scène politique, la seule alternative visible à ce nationalisme est un autre nationalisme, guère plus attirant, celui de l'Union Jack, le drapeau britannique, ce symbole sanglant des pillages et des exactions de l'impérialisme britannique aux quatre coins du monde.

Aux origines du nationalisme écossais

Rappelons que l'existence indépendante de l'Écosse se termina avec ce qu'on appelle encore en Grande-Bretagne la Glorieuse Révolution de 1688, qui marqua la fin de la révolution bourgeoise en Angleterre, le triomphe de la grande bourgeoisie marchande sur les forces plébéiennes de la révolution et l'instauration d'une monarchie constitutionnelle. La bourgeoisie écossaise se rangea avec armes et bagages derrière celle de Londres et finalement, le 22 juillet 1706, le traité de l'Union consacra la formation du Royaume-Uni, comprenant l'Angleterre, le pays de Galles et l'Écosse, traité qui entra en application le 1er mai 1707.

Par la suite, la révolution industrielle transforma le Royaume-Uni en une entité économique étroitement intégrée, dans laquelle le statut de l'Écosse n'était ni pire ni meilleur que celui de bien des régions d'Angleterre. Néanmoins, l'Écosse avait une structure sociale différente de celle de l'Angleterre, au sens où sa campagne restait dominée par la grande aristocratie terrienne. De sorte qu'avec le développement de l'agriculture commerciale, les métayers en furent chassés brutalement, provoquant un exode rural encore plus important qu'en Angleterre. Les paysans expulsés allèrent grossir les rangs des chômeurs des centres urbains qui se développaient autour des deux grands ports écossais, Édimbourg et Glasgow, mais aussi les agglomérations de Belfast, en Irlande du Nord, et de Liverpool et Manchester en Angleterre. Ce processus accéléra la disparition des spécificités linguistiques. L'identité écossaise perdit son caractère national pour devenir un régionalisme qui ne se concevait pas en dehors de l'Union.

D'ailleurs, non seulement l'Écosse s'intégra complètement au cadre économique créé par la bourgeoise anglaise, mais elle joua un rôle de premier plan dans l'essor colonial et impérialiste de la Grande-Bretagne. L'estuaire de la rivière Clyde, autour de Glasgow, devint le plus gros centre de l'industrie navale britannique, avec une puissante industrie métallurgique et d'armement. Édimbourg, la capitale culturelle et financière de l'Écosse, fut communément désignée, à partir du 19e siècle, comme la « seconde ville de l'Empire », après Londres. Comme la centralisation londonienne de l'État limitait les carrières en Écosse, la bourgeoisie écossaise joua un rôle disproportionné dans les aventures coloniales. Ce fut elle qui fut à l'origine de quelques-uns des plus grands groupes de l'histoire britannique, en faisant fortune grâce au pillage colonial de l'Empire, tels que la banque HSBC, les groupes commerciaux Swire et Jardine Matheson, ou encore le géant de l'armement portuaire Hutchinson.

Jusqu'au milieu du 19e siècle, il n'y eut aucun courant politique se réclamant d'un nationalisme écossais. Il fallut les crises économiques de la deuxième moitié du 19e siècle pour que le mécontentement de la petite bourgeoisie donne naissance à un courant favorable à l'autonomie écossaise, similaire à celui qui prit naissance à la même époque en Irlande. Ce courant fit néanmoins long feu et disparut. Le Parti travailliste écossais, lancé à la même époque par le leader syndicaliste Keir Hardie sur des bases similaires, ne connut pas beaucoup plus de succès dans la classe ouvrière et finit par se dissoudre au sein du Parti travailliste indépendant puis du Parti travailliste britannique, qui laissa les partisans de l'autonomie écossaise mener une existence discrète en son sein.

Paradoxalement, ce fut l'aile internationaliste du mouvement ouvrier écossais qui remit à l'ordre du jour le nationalisme écossais. Face à la trahison des organisations ouvrières britanniques, ralliées au camp de leur impérialisme dans la Première Guerre mondiale, les ouvriers de la Clyde furent au centre de la résistance à la trêve sociale. Dans cette pépinière militante émergea un courant qui défendit l'objectif d'une « République ouvrière d'Écosse », incarné par l'une des figures du marxisme révolutionnaire, John Maclean. Bien qu'il se soit agi surtout d'une façon de se délimiter d'un mouvement ouvrier anglais qui avait tourné le dos à toute perspective de classe, c'était une idée dangereuse pour l'unité du mouvement ouvrier, qui devait laisser des traces pour longtemps. Néanmoins, avec la généralisation de la résistance à la conscription dans la classe ouvrière anglaise, à partir de 1916, et surtout avec l'élan impulsé par la révolution d'Octobre et la fondation de l'Internationale communiste, ce courant s'intégra au sein du Parti communiste britannique et le particularisme ouvrier écossais perdit toute forme organisationnelle significative.

Il fallut une autre crise, bien plus grave celle-là, la Grande Dépression des années 1930, pour que le nationalisme écossais réapparaisse. Des groupes régionalistes ou nationalistes se formèrent face aux effets catastrophiques de la crise en Écosse et d'autres, plus à gauche, suite au ralliement du leader travailliste Ramsay MacDonald avec toute une aile de son parti à un gouvernement d'union nationale dont le but était de faire payer la crise à la classe ouvrière.

Finalement, en 1934, les groupes nationalistes traditionalistes qui formaient l'aile droite de ce mouvement s'allièrent aux membres écossais du Parti conservateur pour former le SNP. Mais ce parti ne connut qu'un succès des plus limités. Il lui fallut attendre une trentaine d'années avant de réussir à prendre un peu d'importance.

Un pion écossais dans le jeu politicien britannique

Au début des années 1960, faute de modernisation, les vieilles industries lourdes écossaises connurent une crise. Celle-ci frappa de plein fouet la classe ouvrière mais plus encore la petite bourgeoisie, dont le niveau de vie avait progressé après-guerre. Et comme le reste de la Grande-Bretagne ne semblait pas (pas encore, en tout cas) connaître un sort similaire, le mécontentement des commerçants, cadres et membres des professions libérales écossais les poussa à se raccrocher aux illusions nationalistes colportées par le SNP, et les scores électoraux du SNP se mirent à monter.

En 1970, l'inauguration de la première plate-forme pétrolière en mer du Nord, au large des côtes écossaises, donna du grain à moudre au SNP pour appuyer son projet grandiose d'une Écosse indépendante, autour du slogan « ce pétrole appartient à l'Écosse ». Puis vint l'explosion des prix du pétrole en 1973, qui permit au SNP de faire miroiter le mirage d'un Koweït écossais, dont les ministres de Londres seraient contraints de quémander les faveurs.

Le SNP troqua alors son ton traditionaliste pour un langage plus populiste, accusant l'Angleterre de vivre en parasite des ressources pétrolières écossaises. Aux élections d'octobre 1974, il rafla 30,4 % des voix en Écosse, un succès sans précédent pour un parti qui n'était pas l'un des « trois grands ». Du fait du scrutin majoritaire à un tour, le succès du SNP fut plus mitigé en termes de sièges, puisqu'il n'en obtint que 11, contre 41 pour les travaillistes et 16 pour les conservateurs. Néanmoins, le SNP avait réussi à prendre aussi bien des sièges ruraux, détenus jusque-là par les conservateurs, que des sièges urbains détenus par les travaillistes.

Bientôt, une occasion s'offrit au SNP. En 1978, ayant perdu le soutien des Libéraux, le Premier ministre travailliste Callaghan se trouva sans majorité parlementaire. Du coup les 11 députés SNP et leurs 3 collègues nationalistes gallois de Plaid Cymru se trouvèrent en position d'arbitrer le rapport des forces au Parlement. En échange de leur appui, Callaghan leur promit des référendums sur la dévolution. Il s'agissait d' une forme britannique de régionalisation, s'appuyant sur un Parlement régional élu auquel seraient délégués une partie des pouvoirs d'État exercés par Londres, y compris quelques pouvoirs en matière fiscale ainsi que la faculté d'emprunter dans certaines limites sur les marchés financiers. Ces référendums eurent lieu en mars 1979. Mais, alors qu'arithmétiquement le Oui l'emporta avec 51,6 % des voix, il n'atteignit pas les 40 % d'inscrits requis par la loi, du fait de l'ampleur de l'abstention.

Après le retour des conservateurs au pouvoir en 1979, les scores du SNP s'écroulèrent de moitié et il perdit 9 de ses 11 députés, ce qui montrait à quel milieu politique le SNP devait sa fortune électorale.

La dévolution revient à l'ordre du jour

De l'acte d'Union du 18e siècle, l'Écosse avait gardé un certain nombre d'institutions étatiques qui lui étaient propres, malgré la centralisation de l'État britannique, en particulier ses systèmes juridique et éducatif.

Mais ce qui avait été une concession aux classes privilégiées écossaises au 18e siècle était devenu à double tranchant. Par exemple, les officiers de justice écossais avaient sans doute un monopole sur leurs professions. Mais inversement, les différences importantes entre les systèmes juridiques écossais et anglais leur interdisaient d'exercer leur charge en Angleterre, or l'Écosse offrait bien moins de carrières que l'Angleterre. Qui plus est, du fait de la centralisation de l'État britannique, la plupart des hautes positions de l'appareil d'État étaient à Londres et beaucoup nécessitaient une formation anglaise, ce qui en excluait la plupart des candidats écossais. D'où le mécontentement des intéressés, que le déplacement à Édimbourg du secrétariat d'État aux Affaires écossaises ne suffit pas à calmer.

Après 1979, ces tensions furent aggravées par la récession qui toucha encore plus brutalement l'Écosse que l'Angleterre, y entraînant la disparition d'un cinquième des emplois en tout juste deux ans. L'effondrement des grandes industries écossaises, la concentration des nouvelles industries de services en Angleterre et la réduction des emplois publics privèrent une partie de la petite bourgeoisie écossaise de toute perspective de carrière.

Dans ce contexte, un Parlement écossais prenant en charge les fonctions du secrétariat d'État aux Affaires écossaises et disposant d'une certaine autonomie financière - c'est-à-dire la dévolution régionale - en vint à apparaître à nombre de ces petits-bourgeois comme la seule façon pour eux de retrouver leur statut social perdu.

Bien que d'abord limitée au milieu nationaliste et à une petite bourgeoisie frustrée, l'idée de la dévolution gagna des couches plus larges de l'électorat écossais, surtout parmi les classes populaires qui souffraient le plus de la politique du gouvernement conservateur de Londres. Car, entre 1979 et 1992, quatre élections parlementaires successives donnèrent une majorité conservatrice à Londres alors que les travaillistes l'emportaient en Écosse, de sorte que les classes populaires écossaises ne se sentirent plus représentées à Londres.

Quant au Parti travailliste, il avait lui aussi tout intérêt à une dévolution appuyée sur un Parlement dans lequel il pouvait espérer une majorité confortable. Après son retour au pouvoir, en 1997, il organisa donc des référendums sur la dévolution en Écosse et au pays de Galles. Pour éviter une répétition du fiasco de 1979, il supprima toute condition de quorum, et le Oui l'emporta dans les deux régions malgré un taux d'abstention dépassant les 40 %. Ce qui permit à Blair de se poser à la fois en champion de la démocratie régionale et en garant de l'unité du Royaume-Uni.

Néanmoins, en Écosse, le taux d'abstention de 42 % enregistré en 1999 lors des premières élections au Parlement régional (contre seulement 29 % lors des élections parlementaires de 1997) montra que l'électorat écossais n'était guère convaincu. Lors de ces élections, les travaillistes remportèrent 56 des 129 sièges, contre 35 pour le SNP, et durent former une coalition avec les Libéraux-Démocrates pour diriger la première administration écossaise. Et ce fut la même coalition, toujours sous direction travailliste, qui fut reconduite aux élections suivantes, en 2003. Comme chaque fois le SNP arriva en second derrière les travaillistes en termes de sièges, ce fut lui qui constitua, conformément aux pratiques en cours au Parlement de Londres, l'opposition officielle à l'exécutif régional écossais.

La manne de la dévolution

Légalement, l'administration écossaise n'avait aucun droit de regard sur certains domaines, en particulier la diplomatie, la défense et l'immigration. Mais elle était responsable d'autres : les services sociaux et la santé, l'administration territoriale, l'éducation et la formation, le logement et le transport, la justice et la police, l'agriculture et la pêche, les forêts et l'environnement, les arts et... la création d'emplois. Ses dépenses publiques étaient financées par une enveloppe annuelle calculée au moyen d'une méthode des plus opaques - la formule de Barnett - dont le seul objectif était de répercuter en Écosse les variations de budget décidées à Londres pour l'Angleterre, sans tenir aucun compte des besoins réels.

Bien qu'insuffisante par rapport aux besoins réels, cette enveloppe, dont le montant est passé de 34 milliards d'euros à 46 milliards d'euros cette année, était une véritable manne pour des politiciens en mal de pouvoir, d'autant qu'ils pouvaient en moduler l'utilisation, quitte à déshabiller Pierre pour habiller Paul.

Très vite le Parlement et l'administration écossais se mirent à présenter les mêmes traits de parasitisme corrompu que les institutions de Londres. Une série de scandales éclatèrent, dans lesquels furent compromis à peu près tous les partis, mais plus spécifiquement le Parti travailliste, sans doute parce qu'ayant plus de pouvoir que les autres il avait la possibilité de se créer plus d'occasions lucratives. C'est ainsi qu'alors que la première décision des députés écossais avait été de précéder chacune de leurs sessions d'une séance de prières (pour avoir l'air vertueux, sans doute), la seconde fut de s'attribuer des frais de résidence (en plus de leurs frais administratifs) pouvant atteindre un quart de leurs confortables salaires. Et les années suivantes virent de nombreux scandales, similaires à ceux du Parlement du Londres, révélant que de nombreux députés écossais se servaient de cet argent pour se livrer à une spéculation immobilière des plus profitables.

Un autre scandale fut celui du nouveau siège du Parlement écossais, près du château de Holyrood, dans le centre d'Édimbourg, dont le coût final atteignit 861 % du budget qui lui avait été alloué, ce qui lui valut le sobriquet populaire de « Follyrood » ! On ne sut jamais qui s'était rempli les poches au passage, mais l'idée que c'était des membres haut placés du Parlement fut largement évoquée.

Les pratiques de lobbying si communes au Parlement de Londres, bien que totalement illégales, apparurent très vite à Édimbourg. Un scandale éclata par exemple autour du rôle joué par la firme de relations publiques Beattie Media. On apprit que Jack McConnell, ministre des Finances écossais et ancien leader du Parti travailliste en Ecosse, ainsi que son assistante parlementaire étaient d'anciens employés de cette firme, laquelle employait toujours les rejetons de deux politiciens travaillistes écossais devenus ministres à Londres. Mais ce scandale n'empêcha pas McDonnell de diriger l'exécutif écossais entre 2001 et 2007, ni Beattie Media de remporter de gros contrats médiatiques avec l'administration écossaise.

En matière de « création d'emplois », qui était de sa responsabilité, le Parlement écossais fit très fort - mais d'une façon bien particulière. Entre 1999 et 2007, le nombre des fonctionnaires écossais passa de 45 à 60 000. Sur ces 15 000 postes nouveaux, certains fournirent sans doute un salaire et un travail utile à des chômeurs. Mais, par exemple, on ne pouvait que se demander à quoi pouvaient servir les 4 500 postes censés pourvoir aux seuls besoins de la vingtaine de membres de l'exécutif écossais. De même pour la centaine d'agences publiques créées entre 1999 et 2007. Leur rôle exact était souvent obscur, mais toutes employaient nombre de directeurs, de conseillers juridiques et financiers et d'experts techniques. En fait, un grand nombre de ces créations d'emplois n'eurent d'autre but que de fournir des sinécures bien payées à tout un milieu qui n'avait rien de défavorisé et à la clientèle des partis au pouvoir.

Bref, ceux qui avaient espéré que le climat écossais pourrait nettoyer le parlementarisme bourgeois de la corruption et du clientélisme de Londres ne tardèrent pas à déchanter.

Au service du patronat, comme à Londres

Le Parlement écossais pouvait faire varier le taux des impôts sur le revenu de 3 % en moins ou en plus par rapport à l'Angleterre. Mais en fait il ne s'en est jamais servi jusqu'à ce jour - pas même pour diminuer les impôts des contribuables les plus modestes, ni pour augmenter ceux des contribuables les plus riches. En revanche, Blair avait pris soin de ne lui laisser aucun pouvoir susceptible d'affecter les intérêts des entreprises. En particulier, il n'avait aucun pouvoir sur l'impôt sur les bénéfices, les plus-values financières ou les héritages, ni sur les taxes à la consommation, l'indemnisation du chômage, les minima sociaux ou les allocations sociales.

Mais les politiciens écossais se montrèrent tout aussi respectueux des intérêts de la bourgeoisie que ceux de Londres. Pour commencer, tout un monde de consultants issus des sphères dirigeantes des grandes entreprises furent engagés à prix d'or. Ce fut le cas par exemple de sir John Ward, ancien président du Medef écossais et PDG de deux importants établissements financiers, qui fut nommé, à raison d'une journée et demie de présence par semaine, au poste de président de Scottish Enterprise, une agence chargée de distribuer un gros budget aux entreprises - qui mieux qu'un patron pouvait se montrer expert dans l'art de distribuer des subventions au patronat ?

Durant cette période 1999-2007, l'essentiel des mesures en faveur du patronat introduites par le gouvernement Blair en Angleterre le furent également en Écosse. En particulier on y vit, comme en Angleterre, la privatisation systématique de fonctions relevant jusque-là des services publics, par le biais de contrats de sous-traitance passés avec des entreprises privées, opérations qui se traduisaient invariablement par une dégradation du service public et plus encore par une dégradation des conditions de travail et de salaire des travailleurs concernés. Comme en Angleterre, on assista au transfert de toute une partie des budgets publics vers les coffres des grandes entreprises, par le jeu des partenariats public-privé, par exemple dans le domaine des hôpitaux ou de l'entretien et de la gestion financière des cités HLM des grandes villes.

Il en alla de même des mesures antiouvrières introduites par Blair, en particulier celles prises à l'encontre des chômeurs. Se réfugiant derrière le fait qu'il n'avait aucun pouvoir dans ce domaine, l'exécutif et le Parlement écossais se contentèrent d'appliquer toutes ces mesures avec zèle et sans la moindre protestation.

Il n'y eut que deux domaines où le Parlement d'Édimbourg chercha réellement à se distinguer de celui de Londres. Il le fit dans le domaine linguistique d'abord, en faisant apparaître des bribes d'une langue gaélique que quasiment personne ne comprenait plus en Écosse, dans les titres de ses publications. Et, sur un terrain qui aurait pu être moins symbolique, il prit quelques mesures concernant les soins à la personne, pour les personnes âgées et lourdement handicapées - puisqu'il s'agissait justement d'un domaine où il avait tout pouvoir. Au moment où, en Angleterre, Blair retirait ces soins du domaine de la santé publique pour les rendre payants, le Parlement écossais les rendait gratuits pour les plus de 64 ans, dès lors qu'ils étaient reconnus médicalement justifiés. C'était un progrès, à ceci près qu'aucun financement ne fut débloqué pour le mettre en œuvre. Faute de personnel et de moyens matériels, des queues interminables se formèrent, d'abord pour passer le test pour la gratuité, et ensuite, une fois le test validé, pour que les soins eux-mêmes soient mis en place. En fait, des milliers de personnes âgées n'eurent jamais les soins dont elles auraient eu besoin, parce que la machine administrative dont dépendait la gratuité de ces soins était tout simplement bloquée.

Les nationalistes au pouvoir

En 2007, les déceptions suscitées tant par les institutions écossaises que par la politique des travaillistes à Édimbourg et à Londres (en particulier la guerre d'Irak) entraînèrent un renversement de majorité au Parlement d'Édimbourg. Les trois grands partis perdirent un total de 6 sièges, dont 4 pour le Parti travailliste, mais le SNP nationaliste en gagna 20, raflant pratiquement tous les sièges précédemment obtenus par les petites listes, depuis ceux des Verts, jusqu'à ceux de l'extrême gauche. Il devint le plus grand parti au Parlement, de peu, car il n'avait que 47 sièges contre 46 pour les travaillistes. Mais cela suffit pour que le SNP se trouve à même de prendre la direction des affaires, à la tête d'un gouvernement minoritaire.

Pour arriver à ce résultat, il avait néanmoins fallu que le SNP subisse un ravalement de façade. Après l'élection à sa tête d'Alex Salmond, un vétéran de son aile gauche, en 2004, le langage du SNP s'était gauchi, afin de le faire apparaître comme à la gauche du Parti travailliste. Il est vrai que ce n'était pas très difficile tant le cours de Tony Blair avait viré à droite. Face à un Parti travailliste qui, à Londres, bradait les services publics à tour de bras et s'attaquait sans vergogne à la protection sociale, le SNP apparut à bien des électeurs écossais comme incarnant le travaillisme traditionnel que Blair avait, à leurs yeux, trahi. Par ailleurs, en adoptant une posture d'opposition à l'occupation de l'Irak - sans jamais rien faire contre néanmoins - Salmond put capitaliser l'hostilité d'une grande partie de l'électorat à cette guerre, tant à gauche qu'à droite.

Une fois au pouvoir, le SNP se trouva très rapidement confronté à la crise financière, qui toucha la Grande-Bretagne dès 2007. Sa politique ne fut pas différente de celle du gouvernement travailliste de Gordon Brown à Londres. Il contribua sans rechigner au sauvetage des banques, d'autant que deux des plus grandes banques britanniques, RBS et HBOS, étaient basées en Écosse. Il multiplia les subsides au patronat, par le biais de Scottish Enterprise auquel, miraculeusement, les restrictions budgétaires ne s'appliquèrent pas. Et, tout comme Londres, il sabra dans les services publics et les budgets sociaux.

Mais le SNP n'en chercha pas moins à consolider sa popularité par quelques mesures phares mais peu coûteuses. La première, en 2007, visa avant tout son électorat petit-bourgeois. Il rendit gratuites les études universitaires pour les étudiants écossais faisant leurs études en Écosse, supprimant ainsi les frais de scolarité léonins introduits par Blair en 1998. Cela créa une situation ubuesque, car les étudiants anglais en Écosse durent continuer à payer les mêmes frais de scolarité qu'ils auraient payés en Angleterre, alors que, pour respecter les règles de l'Union européenne, ceux des autres pays de l'Union purent faire leurs études gratuitement en Écosse !

Mais surtout la mesure la plus marquante, durant ce premier terme du SNP, fut la réintroduction de la gratuité des médicaments pour tous, gratuité qui avait été supprimée quatre ans après son introduction par les travaillistes, en 1948, alors qu'en Angleterre la plupart des adultes ayant un emploi devaient payer une somme forfaitaire pour chaque médicament prescrit (aujourd'hui environ 10 euros). Le SNP renforça ainsi auprès de l'électorat populaire le sentiment qu'il incarnait désormais les valeurs du travaillisme traditionnel, avec lesquelles Blair avait rompu en se faisant le champion des marchés au nom d'un « nouveau travaillisme ».

Cette dernière mesure ayant été adoptée tout juste un mois avant les élections écossaises de mai 2011, les arrière-pensées du SNP étaient évidentes. Néanmoins, cette démagogie grossière permit au SNP d'augmenter son score d'un tiers et le nombre de ses sièges de moitié, et ceci en grande partie grâce au discrédit de la coalition conservateurs-libéraux-démocrates qui était arrivée au pouvoir à Londres l'année précédente. Car ces élections furent moins un raz-de-marée nationaliste qu'un vote sanction contre les partis de cette coalition, qui perdirent la moitié de leurs sièges. Dans les zones rurales du nord de l'Écosse, le SNP prit la place des Libéraux-Démocrates qui les avaient dominées jusque-là. Quant au Parti travailliste, ses pertes furent moindres. Mais dans l'agglomération ouvrière de Glasgow, considérée jusque-là comme une forteresse imprenable des travaillistes, le SNP réussit à les battre en voix, arrivant à égalité en sièges. Au bilan, le SNP se retrouva avec une majorité absolue des sièges au Parlement d'Édimbourg et les mains libres pour mettre en œuvre sa politique.

Le beurre et l'argent du beurre

Ayant promis un référendum sur l'indépendance au cours de sa campagne électorale, la victoire du SNP exigeait qu'il passe à l'acte. Des négociations furent donc engagées avec le gouvernement Cameron et, finalement, les législations nécessaires pour assurer sa tenue furent passées simultanément par les Parlements de Londres et d'Édimbourg, fixant sa date à septembre 2014.

Mais ces négociations furent marquées par une valse-hésitation de la part du SNP qui ne manqua pas d'ironie. Au cours de ses marchandages avec le gouvernement de Londres, il apparut qu'après tout le SNP ne tenait pas tant que cela à l'indépendance et que ses préoccupations étaient finalement bien plus terre à terre que le laissaient entendre ses grandes envolées nationalistes.

Ainsi chercha-t-il à obtenir qu'au lieu d'un vote pour ou contre l'indépendance le référendum offre une troisième option, surnommée Devo-Max, qui poussait la dévolution jusqu'aux confins du fédéralisme. Dans cette configuration, les autorités d'Édimbourg auraient été entièrement responsables des finances écossaises. Elles auraient fixé et collecté les impôts directs et indirects, auraient emprunté auprès des banques et des marchés financiers sans avoir à rendre de comptes à Londres, tout en versant au gouvernement central une contribution aux dépenses de fonctionnement générales de la Grande-Bretagne. La défense et les affaires étrangères auraient été les seuls domaines où Londres aurait conservé ses prérogatives. Du coup, les nationalistes auraient eu le beurre et l'argent du beurre : la gestion financière complète et sans restriction de tout un appareil d'État, avec tous les avantages matériels qui s'y attachent pour ceux qui en sont responsables, tout en conservant la sécurité financière que peut offrir le fait de faire partie intégrante d'une entité économique aussi riche que la Grande-Bretagne.

Mais il n'était pas question pour Cameron de faire la moindre concession au SNP sur ce terrain. Non seulement, il ne voulait pas d'une Devo-Max qui n'aurait pu que susciter encore plus de doutes sur les marchés financiers quant à la santé déjà plus que précaire des finances publiques britanniques. Mais en plus, en prévision des élections parlementaires de mai 2015, Cameron avait à tout prix besoin d'une victoire pour redorer un blason pour le moins terni par sa politique d'austérité. Or, si les sondages indiquaient quelque chose à ce stade, c'était que la seule option qui semblait susceptible de recueillir une majorité dans l'électorat était justement la Devo-Max.

Le SNP s'accrocha autant qu'il le put à sa proposition, mais en vain. La réalité était que Cameron était seul maître du jeu, ne serait-ce que parce que, sans l'accord de Londres, le référendum ne pouvait tout simplement pas avoir lieu. Donc, après plus d'un an d'une négociation marathon, l'accord final en revint à la seule question : « Êtes-vous favorable à l'indépendance de l'Écosse ? » La seule concession que Cameron consentit à faire au SNP fut d'abaisser le droit de vote à 16 ans - une première dans les annales britanniques, sur laquelle les leaders du SNP comptaient semble-t-il beaucoup pour renforcer leur campagne.

Sur le terrain du capitalisme

Dans un premier temps, le SNP centra sa campagne pour le référendum autour de ses thèmes traditionnels. Le pétrole de la mer du Nord (« notre pétrole ») fut de nouveau appelé à la rescousse pour accréditer l'idée que la population écossaise était indûment exploitée par Londres et que l'indépendance lui assurerait un niveau de vie sans commune mesure avec sa situation présente. Comme la crédibilité de cet argument était quelque peu usée par l'épuisement des gisements de la mer du Nord, le SNP produisit des études officielles qui étaient censées démontrer que des réserves pétrolières plus importantes encore restaient à exploiter au large des côtes écossaises.

Les nationalistes firent miroiter tous les bienfaits qui pourraient résulter de cette manne dans une Écosse indépendante qui pourrait en disposer à sa guise. Ils proposèrent la mise en place d'un fonds souverain alimenté par les recettes pétrolières, à l'instar de ceux du Koweït ou de Norvège, qui garantirait que l'éducation et la protection sociale restent publiques, gratuites et universelles, en étant protégées contre les soubresauts de l'économie et les mesures d'austérité et de privatisation des politiciens, contrairement à ce qui s'était passé en Angleterre, en particulier depuis de début de la crise.

Mais, bien sûr, il n'était pas question pour le SNP de pointer le doigt sur les véritables responsables de la crise. Si sa démagogie s'adressait en partie à l'électorat populaire, la politique qu'il proposait s'adressait avant tout au capital - écossais ou pas. Ses mirages pétroliers passaient allégrement sous silence le fait que c'était les multinationales du pétrole, et non la population anglaise, qui avaient empoché les profits des gisements de la mer du Nord et que l'indépendance de l'Écosse n'y changerait rien. Lorsqu'il se faisait fort d'utiliser la manne pétrolière pour attirer les investisseurs en Écosse, redonner vie à son industrie dévastée par les crises successives et ramener le plein emploi, il se gardait bien de mettre en accusation les puissants groupes industriels qui avaient licencié à tour de bras en Écosse, tout comme ils l'avaient fait dans toute l'Angleterre, ni de préciser que, pour attirer ces fameux investisseurs, il faudrait que la classe ouvrière écossaise se rende suffisamment « attractive », c'est-à-dire prête à accepter une aggravation de son exploitation.

Mais, dans ce rôle de champions respectueux des intérêts du capital, les nationalistes ne pouvaient guère l'emporter - en tout cas pas aux yeux des capitalistes. Il est vrai que ceux-ci ne s'inquiétaient pas forcément outre mesure de ce qui allait advenir après le référendum. Un haut dirigeant de HSBC, la plus grande banque britannique, expliquait par exemple, dans une interview au quotidien financier Financial Times, que les banquiers avaient toujours pu compter sur le zèle des États à se mettre d'accord entre eux afin de faciliter les transactions entre grands groupes financiers et qu'il n'y avait pas de raison qu'il en soit autrement en cas de victoire du Oui.

Certains, comme Jim Ratcliffe, principal actionnaire de l'un des dix plus gros groupes pétrochimiques mondiaux, Ineos, dont la notoriété en tant que patron de combat n'était plus à faire, y allèrent même de leur couplet, vantant les avantages d'un « petit État » dont les dirigeants seraient bien plus accessibles aux entreprises. Il est vrai que cela pouvait se comprendre pour un groupe comme Ineos, pour qui les frontières importent peu. N'a-t-il pas son siège social en Angleterre, son siège fiscal en Suisse et ses unités de production dans une demi-douzaine de pays aux quatre coins de la planète ? Quant à l'accessibilité des dirigeants écossais pour quelqu'un comme Ratcliffe, elle s'expliquait mieux quand on savait que le chiffre d'affaires d'Ineos était du même ordre de grandeur que le budget du gouvernement écossais !

Mais sur ce terrain, face au SNP, les grands partis londoniens qui s'étaient regroupés autour de la campagne Better together (Mieux ensemble) pour le Non avaient des arguments d'un tout autre poids : d'une part leur long et loyal passé au service du capital et d'autre part le poids économique de l'État britannique, avec tout ce qu'il peut apporter en subventions et autres garanties financières aux entreprises, petites et grandes. De sorte que Cameron, appuyé de tout son poids par le leader travailliste Ed Miliband, n'eut aucun mal à donner le ton dans cette campagne.

Et ils firent donner la grosse artillerie. La presse des milieux d'affaires se fit un plaisir de publier des pages entières de publicité pour le Non où figuraient les signatures des PDG des plus gros groupes britanniques. RBS (Royal Bank of Scotland) et la banque Lloyds, qui sont toutes deux enregistrées en Écosse et dont l'État britannique est le principal actionnaire depuis le sauvetage bancaire de 2008, firent savoir obligeamment qu'en cas de victoire du Oui, elles déplaceraient le centre de gravité de leurs activités à Londres. Le géant privé de l'assurance et des placements financiers Standard Life, dont le siège est à Édimbourg, ne tarda pas à suivre le mouvement. Les groupes de métallurgie et d'armement BAE et Babcock, deux gros sous-traitants de la marine de guerre britannique qui emploient directement ou indirectement des dizaines de milliers de salariés en Écosse, laissèrent entendre qu'ils pourraient avoir à relocaliser leurs activités en Angleterre.

Le chantage comme argument politique

En fait, l'un des principaux axes de la campagne du Non se résuma à un chantage sur les nombreux cataclysmes qu'une victoire du Oui ne manquerait pas d'entraîner.

La fuite catastrophique des emplois hors d'Écosse, qui ne manquerait pas de se produire selon Cameron et ses alliés, en fut l'un des exemples. Mais il y en eut bien d'autres.

Il y eut par exemple la polémique autour de la monnaie, dans laquelle les grands partis réussirent sans grand mal à faire perdre au SNP un peu de son crédit. La question était de savoir quelle serait la monnaie d'une Écosse indépendante. Les nationalistes proposaient une solution qui n'était pourtant pas très populaire dans les milieux nationalistes - celle de conserver la livre britannique dans le cadre d'une union monétaire avec l'Angleterre. Ce à quoi Cameron rétorqua que c'était hors de question, dans la mesure où Londres n'aurait plus les moyens de contrôler les dépenses du nouvel État et donc d'assurer la stabilité de la livre. Et il souligna que l'introduction d'une nouvelle monnaie écossaise rendrait très difficile au nouvel État d'emprunter sur les marchés financiers sans avoir à payer des intérêts exorbitants.

Le SNP chercha alors à se tirer d'affaire en rappelant que son intention était de demander immédiatement son adhésion à l'Union européenne et que, faute d'une union monétaire autour de la livre, l'Écosse pourrait toujours intégrer la zone euro. Mais Cameron eut beau jeu de lui rappeler que, même en admettant que les demandes de l'Écosse soient agréées par l'Union européenne et la zone euro, ce qui n'était pas du tout certain - surtout si Londres s'y opposait, mais cela, il le laissa entendre sans jamais le dire explicitement - tout cela prendrait des années et qu'entre-temps l'Écosse risquait de connaître une dure période de vaches maigres.

Puis vint une autre polémique, cette fois sur la répartition des dettes de la Grande-Bretagne en cas d'indépendance. Les nationalistes du SNP avaient toujours mis un point d'honneur à démontrer leur responsabilité vis-à-vis des intérêts de la grande finance, en affirmant leur détermination à assumer la responsabilité d'une partie des dettes britanniques, en proportion de la taille de la population écossaise. Moyennant quoi Cameron prit le SNP à sa propre démagogie, en argumentant que la seule façon équitable de partager les dettes était de le faire en proportion du PIB de chacun. Et comme, grâce au pétrole, l'Écosse avait (sur le papier en tout cas) un PIB par habitant bien supérieur à celui de l'Angleterre, elle devrait reprendre à son compte une part de la dette publique bien plus élevée que ne le disait le SNP, ce qui, d'après les calculs produits par les services officiels de Cameron, nécessiterait une hausse significative des impôts sur le revenu en Écosse. Il y avait là de quoi effrayer l'électorat petit-bourgeois, le gros de la base électorale du SNP, qui pouvait commencer à avoir des doutes sur les baisses d'impôts financées par le pétrole promises par le SNP.

Un nationalisme réactionnaire contre l'autre

Si les nationalistes du SNP n'avaient rien d'autre à vendre que des mirages, les partisans du Non n'avaient réellement aucun autre argument que celui de la peur.

Car, en dehors de leurs menaces apocalyptiques, qu'avaient-ils donc de positif à proposer aux électeurs ? Le maintien dans cette survivance d'un passé depuis longtemps révolu qu'est le Royaume-Uni, avec sa royauté d'un autre âge et ses institutions politiques et judiciaires qui ont à peine changé depuis le 18e siècle ? L'appartenance à une Grande-Bretagne qui continue à occuper l'Irlande du Nord contre la volonté d'une grande partie de sa population, empêchant ainsi sa réunification avec la République d'Irlande ? Une Grande-Bretagne qui, par ailleurs, continue à guerroyer pour le compte d'une poignée de multinationales aux quatre coins de la planète, semant la terreur et la mort parmi les populations des pays pauvres ?

Et que dire des partisans du Non ? Un Cameron qui menace les Écossais des pires conséquences s'ils choisissaient de rompre l'Union avec l'Angleterre, mais qui n'hésite pas lui-même à agiter la menace du retrait de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, sous prétexte de protéger le pays contre la menace d'une invasion de travailleurs immigrés européens, mais en réalité pour protéger les profits des banquiers de Londres et permettre au patronat britannique de pratiquer le dumping social contre ses concurrents européens. Ou un Miliband dont le Parti travailliste a donné son soutien, voire présidé à toutes les aventures militaires de l'impérialisme britannique, de la guerre de 14-18 à l'invasion et aux bombardements actuels de l'Irak, en passant par d'innombrables expéditions coloniales et par l'Irlande du Nord. Ce même parti qui a orchestré le sauvetage des banques en 2008, et préparé le terrain aux années d'austérité et de recul de ses conditions de vie que la classe ouvrière a subies depuis.

Mais en face, les mirages du SNP n'étaient pas seulement illusoires, ils étaient réactionnaires. Ajouter une frontière de plus aux innombrables reliques artificielles qui divisent le monde et en particulier l'Europe, qui sont sources d'autant de tensions et ne font que contribuer à alimenter l'irrationalité du fonctionnement du système capitaliste, ne pouvait être qu'un pas en arrière. Ce ne pouvait être qu'un développement réactionnaire, comme l'a parfaitement illustré la détermination affichée par le SNP de constituer sa propre armée en Écosse et d'obtenir son adhésion à l'OTAN. Qui plus est, cela aurait constitué un développement réactionnaire pour les quelque 800 000 travailleurs écossais qui vivent en Angleterre et seraient devenus des immigrés, du jour au lendemain, dans leur propre pays. Quant aux travailleurs d'Écosse, ils auraient vite eu à faire face au chantage à l'investissement étranger, et aux pressions pour accepter de se rendre plus compétitifs afin d'attirer les investisseurs. Eux aussi auraient payé la note pour permettre à une maigre couche de notables et de politiciens de s'asseoir à la mangeoire d'un appareil d'État à eux.

Si néanmoins beaucoup de travailleurs écossais ont choisi de voter Oui à l'indépendance, pour exprimer leur rejet de tout ce que représentaient les grands partis qui défendaient le Non, cela ne fait que souligner l'absence de toute perspective politique offerte à la classe ouvrière - en Écosse comme ailleurs - face aux attaques de la bourgeoisie dans la crise. Cela souligne l'absence d'un parti défendant ses intérêts politiques et prêt à prendre la tête de ses combats. Si un tel parti avait existé, la classe ouvrière écossaise aurait traité le faux choix présenté par ce référendum comme il le méritait : en refusant d'y participer, mais sur un fond de luttes visant à regagner le terrain perdu face aux capitalistes, écossais comme anglais. En l'absence d'un tel parti, nombre de travailleurs se seront servis du seul moyen de s'exprimer qu'on leur proposait, même si, malheureusement, il était lourd d'ambiguïté.

19 octobre 2014