Relations internationales

Drucken
décembre 2008

10 octobre 2008

L'événement international majeur de 2008 est la crise de l'économie capitaliste. Elle est passée, successivement, d'une crise immobilière localisée aux États-Unis à une crise financière internationale et est en train de se transformer en crise économique tout court. Son développement dans les mois qui viennent pèsera d'un poids décisif non seulement sur les rapports de classe à l'intérieur de chaque pays, mais aussi sur les relations internationales.

Si la crise économique continue à s'aggraver, elle durcira les relations même entre les puissances impérialistes. L'exacerbation de la compétition économique se répercutera inévitablement sur le terrain politique. Elle arrachera le masque de bonne entente censée caractériser les relations entre grandes puissances, incarné par des organisations internationales permanentes ou par des réunions périodiques des chefs d'État des puissances dominantes. C'était de toute façon un masque. Les relations internationales ont toujours été guidées, en dernier ressort, par les lois de la jungle où seuls comptent les rapports de forces. Les organismes dits de coopération internationale eux-mêmes - de l'OMC au FMI - sont des arènes sur lesquelles se heurtent, de façon feutrée ou ouverte, les intérêts des États capitalistes, principalement des puissances impérialistes, c'est-à-dire ceux de leurs groupes industriels. Au fil de la crise, ces heurts seront de moins en moins feutrés.

La crise aggravera inévitablement la situation des pays sous-développés, et en particulier des plus pauvres d'entre eux. Elle a déjà commencé : les émeutes de la faim de ce printemps 2008 ont été la première expression du désarroi des masses affamées par les premières conséquences de la crise. En poussant les masses des pays pauvres dans le désespoir, la crise suscitera de nouveaux foyers de tension.

Tout cela contribuera à déstabiliser encore plus ce « nouvel ordre international » que nous chantaient les dirigeants du monde impérialiste et leurs porte-voix après la chute du mur de Berlin et qui n'a jamais été un ordre stable.

Nous avons déjà signalé, dans le rapport sur la situation internationale de 2007, que « la mondialisation, la globalisation de l'économie, l'ouverture des frontières devant la circulation des capitaux et, dans une large mesure, des marchandises, l'interpénétration croissante des économies, ne se traduisent pas par l'émergence d'un ordre international plus stable ». La disparition de l'URSS et la fin de la division du monde en deux blocs n'ont pas liquidé les foyers de tension, les nombreux conflits ouverts ou latents, la course aux armements. Cela n'a même pas mis vraiment fin à la guerre froide. « Signe tangible de cette situation, écrivions-nous l'an dernier, le fait que les dépenses militaires, après avoir baissé pendant les années de décomposition de l'ex-URSS pour atteindre leur montant le plus bas en 1996, ont repris leur ascension pour revenir, en 2005, au niveau qui était le leur à la fin de la guerre froide. (...) Le budget américain de défense est passé de 318 à 478 milliards de dollars entre 1996 et 2005, soit une augmentation de 50 % en neuf ans ». En 2008, le Sénat américain a voté un budget de 648 milliards de dollars pour les dépenses militaires des États-Unis.

La justification invoquée pour cette course aux armements est la lutte contre le terrorisme. Ce n'est qu'un grossier prétexte. En quoi les missiles balistiques ou les armes sophistiquées favoriseraient-ils la liquidation d'Al Qaïda ou permettraient-ils de trouver la cachette de Ben Laden ou celle du mollah Omar ?

Mais le militarisme est un des éléments fondamentaux de l'impérialisme, aussi bien en raison du rôle des commandes d'armement pour l'économie capitaliste essoufflée qu'en raison de la volonté des puissances impérialistes de disposer de moyens militaires pour défendre leurs intérêts et leur rang dans l'ordre international.

Le résultat des élections américaines à cet égard est un épiphénomène tout à fait secondaire. La rapidité avec laquelle les deux candidats se sont alignés derrière le plan de secours aux financiers, coûteux pour toute la population, élaboré par l'administration Bush - avec même une prime de rapidité au démocrate Obama -, montre qu'ils sont interchangeables pour mener la politique souhaitée par la grande bourgeoisie des États-Unis. En matière de politique internationale vis-à-vis de la Russie, de la guerre en Irak ou en Afghanistan, ou bien du conflit israélo-palestinien, même leurs discours électoraux ne diffèrent que dans des nuances et, encore, pas toujours.

L'intervention de l'armée russe en Géorgie, qui a fait dire à certains commentateurs que l'on revient à la guerre froide, est plus une conséquence qu'une cause du durcissement des relations américano-russes (même si, à son tour, elle contribue à l'aggraver).

Malgré l'effondrement de l'URSS et son rétrécissement à la seule Russie, la politique des États-Unis à son égard a à peine changé. Tout en cherchant à associer la Russie, sous différentes formes, au maintien de l'ordre international - ce qui, à vrai dire, n'est pas vraiment nouveau, et Staline en son temps avait joué ce rôle avec autrement plus de moyens que Poutine -, les États-Unis ont continué à la considérer comme un danger potentiel. Et ils poursuivent une politique d'isolement de la Russie, diplomatique aussi bien que militaire.

Non seulement l'OTAN, alliance militaire clairement dirigée, lors de sa création, contre l'URSS, n'a pas été supprimée après la disparition de celle-ci, mais les États-Unis ont mené une politique active dans les ex-Démocraties populaires pour les associer à l'OTAN. En résultat de cette politique, en 1999, la République tchèque, la Pologne et la Hongrie ont été intégrées à l'organisation militaire atlantique, suivies en 2004 par la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, auxquelles sont venues s'ajouter la même année les trois pays baltes, l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie, qui faisaient partie de l'URSS au temps où celle-ci existait. Au feu Pacte de Varsovie, s'est substituée l'OTAN en Europe centrale et orientale. Le glacis que l'URSS s'était constitué au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale s'est transformé en base avancée pour les États-Unis pour encercler la Russie.

Dans le cadre de l'extension à l'Europe du système anti-missiles des États-Unis, la Pologne vient d'accepter l'installation sur son sol de batteries d'intercepteurs de missiles, dans le nord du pays, à quelques pas de l'enclave russe de Kaliningrad. La République tchèque, de son côté, est en train d'accepter la construction sur son sol de radars participant à ce système, malgré l'opposition de la population et les réticences du Parlement. Le prétexte invoqué de la sécurité des États-Unis et de l'Europe face à une menace balistique iranienne ne fait qu'ajouter une nuance de provocation alors que ces installations menacent directement les grandes villes de Russie. Par ailleurs, deux ex-Démocraties populaires - Roumanie et Bulgarie - abritent aujourd'hui des bases militaires américaines.

En menant la même politique vis-à-vis de plusieurs États issus de l'effondrement de l'URSS, les États-Unis ont franchi un nouveau degré dans l'escalade.

Depuis plusieurs années, ils interviennent activement dans ces pays, directement ou par le biais de divers organismes officieux, pour favoriser, « au nom de la démocratie », l'accession au gouvernement de formations et d'hommes politiques liés aux États-Unis. Si les diverses « révolutions », des roses en Géorgie, orange en Ukraine, des tulipes au Kirghizistan, se sont faites avec le soutien, plus ou moins massif, d'une partie de la population de ces pays, elles étaient canalisées pour favoriser l'arrivée au pouvoir d'une équipe pro-occidentale. Ces interventions politiques plus ou moins discrètes sont complétées par la proposition faite à certains de ces pays de rejoindre l'OTAN.

En attendant, des bases militaires américaines ont déjà été installées en Géorgie, en Ouzbékistan, au Kirghizistan.

Le GUAM, regroupant la Géorgie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Moldavie, fondé en 1996 et financé par les États-Unis, est un véritable front commun anti-russe.

Les dirigeants du Kremlin avaient accepté l'éloignement des Démocraties populaires au temps de Gorbatchev, c'est-à-dire avant même la dislocation de l'URSS. Cela impliquait leur intégration future, d'une part, dans l'Union européenne et, d'autre part, dans l'OTAN. Ils n'ont cependant jamais abandonné leur ambition de garder dans leur sphère d'influence « l'étranger proche », c'est-à-dire les États issus de la décomposition de l'URSS (pays baltes mis à part).

Mais, pendant les années Eltsine, celles de la décomposition continue de l'État russe, la Russie n'était pas en situation de préserver son influence. Elle avait bien du mal à maintenir l'unité de son territoire face aux baronnies bureaucratiques locales.

La fin, en tout cas momentanée, de ce processus de décomposition, marquée par la consolidation du pouvoir de Poutine et surtout favorisée par l'envolée des prix du pétrole et du gaz dont le contrôle a été repris par le pouvoir central, a donné à l'État russe certains moyens de réagir ou, du moins, de marquer la ligne jaune à ne pas franchir.

La décision du président géorgien Saakachvili d'envoyer l'armée pour rétablir l'autorité de son gouvernement sur la région autonome d'Ossétie du Sud, indépendante de fait depuis 1992, a fourni à l'équipe Poutine-Medvedev l'occasion de tracer cette ligne jaune. Le président géorgien a-t-il été poussé à l'action par des encouragements des États-Unis ou, du moins, de leurs services secrets et les conseillers américains participant à l'encadrement de l'armée géorgienne ? Ou pensait-il qu'il était en situation de leur forcer la main ? Quoi qu'il en soit, l'intervention de l'armée géorgienne en Ossétie du Sud, provoquant la réplique de l'armée russe et son intervention en Géorgie, a fait éclater en public l'affrontement jusqu'alors sourd entre la Russie et les États-Unis dans la région.

Cette guerre a été menée de part et d'autre au nom de « grands principes » : la « défense de la Géorgie démocratique » et de son intégrité territoriale contre l'invasion par une grande puissance étrangère du côté des États-Unis ; la « défense » du peuple ossète et, au-delà, du peuple voisin abkhaze, également en rébellion contre le pouvoir central géorgien, du côté russe. Aussitôt gagnée la guerre éclair de ses troupes contre la Géorgie, la Russie a reconnu l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, soulevant les protestations de toutes les puissances occidentales.

Hypocrisie de part et d'autre car, en reconnaissant l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, Moscou a surtout reconnu les potentats locaux plus ou moins liés à la mafia russe. Et les dirigeants russes montrent dans la Tchétchénie voisine, et de manière sanglante, le peu de cas qu'ils font du droit des peuples. Quant aux puissances occidentales qui reprochent à la Russie de violer l'intégrité territoriale de la Géorgie en reconnaissant unilatéralement l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, elles sont mal placées, elles qui venaient de reconnaître l'indépendance du Kosovo, en piétinant par la même occasion l'intégrité territoriale de la Serbie.

Hypocrisie surtout parce que l'impérialisme américain comme la bureaucratie russe se moquent éperdument du sort des peuples et de leurs droits.

Le Caucase comme l'Asie centrale ont été, pendant longtemps, une zone de conflits où se sont heurtés, avant la Première Guerre mondiale, à l'époque tsariste, l'expansionnisme de la Russie et l'impérialisme britannique. Le rôle de ce dernier est repris par les États-Unis. Aux raisons géopolitiques s'ajoutent des raisons économiques. Les États voisins de la mer Caspienne, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan en particulier, possèdent des ressources en pétrole et en gaz parmi les plus importantes de la planète. La Géorgie abrite l'oléoduc qui transporte le pétrole azerbaïdjanais de Bakou vers un port turc en évitant la Russie. Les intérêts économiques se mêlent aux intérêts politiques pour faire de toute la région une zone de tensions entre la Russie et les États-Unis.

Les peuples de la région ont commencé à payer le prix du bras de fer entre grandes puissances. Pour être courte, la guerre a fait des morts et des réfugiés. Le « nettoyage ethnique » mis en route a chassé les Géorgiens des régions ossètes et les Ossètes de la Géorgie. Dans cette région où se côtoient, voire s'interpénètrent, un grand nombre de peuples, avec un passé plus ou moins chargé de conflits, les manœuvres des deux puissances opposées versent de l'huile sur le feu et provoquent une situation similaire à celle des Balkans, mais sans doute à une échelle plus grande.

Les relations entre les États-Unis et la Chine, autre élément important des relations internationales, subiront - et subissent déjà - les contre-coups de la crise financière. Depuis plusieurs années, l'équilibre financier international repose, dans une large mesure, sur les relations entre ces deux pays. Ce sont les dépôts de la Chine dans le système bancaire américain et l'achat de bons du Trésor des États-Unis qui compensent dans une large mesure l'endettement américain. L'attitude de la Chine, c'est-à-dire sa volonté de conserver ses réserves sous forme de dépôts en bons du Trésor américain - de l'ordre de 1 500 milliards de dollars - ou, au contraire, son choix éventuel de s'en débarrasser, pèse sur l'avenir du dollar et, partant, sur le système monétaire international.

En décidant d'injecter plusieurs centaines de milliards pour racheter les titres pourris détenus par les banques américaines, le gouvernement américain voulait rétablir la confiance dans le système bancaire. Mais les dépenses de la banque centrale américaine dépassant largement ses possibilités, le gouvernement américain, sans être certain pour autant de rétablir la confiance entre les banques, a pris le risque d'ébranler la confiance dans le dollar lui-même. Cette opération signifie, en effet, un accroissement de l'endettement des États-Unis ou, si le Trésor fait marcher la planche à billets, conduit à la dépréciation du dollar.

Si une partie de la valeur du dollar part en fumée, c'est autant de prélevé sur les réserves de la Chine. Mais celle-ci n'a guère de moyens pour se défendre contre ce prélèvement. Si elle faisait le choix de retirer ses réserves des États-Unis, elle accélérerait plus encore la dépréciation du dollar. Il ne lui est même pas facile de diversifier ses dépôts, car la livre sterling britannique n'est guère plus solide et le franc suisse ne fait pas le poids. Quant à l'euro, qui se porte aujourd'hui mieux que le dollar, résistera-t-il à la crise ?

Les réserves considérables accumulées au fil du temps par la Chine résultent de la surexploitation de la classe ouvrière et de la ruine de la paysannerie. Avec l'évaporation d'une partie de la valeur accumulée sur son dos, la masse exploitée de la Chine aura payé, par avance, pour les désordres du système capitaliste mondial, contre lesquels aucune muraille ne peut la protéger.

Pour bien des commentateurs qui prolongent la courbe de croissance industrielle de la Chine, ce pays est en passe de rattraper et dépassera dans quelques années la puissance américaine. C'est oublier qu'il ne s'agit pas d'une course entre égaux, mais entre un grand pays sous-développé et un pays impérialiste. Malgré l'accroissement rapide du produit intérieur brut de la Chine - et aussi vague que puisse être cette notion, surtout avec l'arbitraire du taux de change entre les deux monnaies -, avec 3 251 milliards de dollars, elle reste loin des États-Unis et de leur PIB de 13 780 milliards de dollars. Quant au produit intérieur brut par habitant, l'écart est bien plus considérable (respectivement 2 507 dollars et 46 000 dollars).

Cela pour la comparaison quantitative. Mais, en outre, les secteurs les plus profitables de l'économie chinoise sont des sous-traitants de grands groupes des pays impérialistes.

Les relations pays impérialistes/pays sous-développés se résument dans le fait que la plus grande partie de l'argent déposé par la Chine dans les banques américaines n'est que de l'épargne, alors que l'argent placé en Chine par les États-Unis (ou le Japon, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France) est transformé en capital, c'est-à-dire participe à l'exploitation de la classe ouvrière et de la paysannerie chinoises.

S'il est possible de parler d'interdépendance croissante à propos des relations économiques entre les États-Unis et la Chine, c'est au sens où Trotsky parlait, dans les années trente, de l'interdépendance entre la Grande-Bretagne et l'Inde : « La dépendance de l'Angleterre vis-à-vis des Indes possède naturellement un caractère qualitativement différent de la dépendance de l'Inde vis-à-vis de l'Angleterre. Mais cette différence est déterminée fondamentalement par la différence du degré de développement de leurs forces productives et pas du tout par le degré de leur autarcie économique ».

Quant à l'Union européenne, la crise économique à peine commencée, elle montre clairement les limites de son unité malgré les simagrées d'un Sarkozy placé à sa présidence par le hasard du calendrier. La Banque centrale européenne et les banques nationales se sont retrouvées tout naturellement sur la même politique d'ouverture des vannes pour venir au secours des institutions financières en manque de liquidités ou pour racheter des banques afin de les sauver de la faillite. Ce n'était pas là l'expression d'une politique commune, mais un commun réflexe de classe. Les autorités européennes ont été, en revanche, incapables de s'engager dans une politique concertée face à la crise bancaire (du genre de ce qu'est le plan Paulson aux États-Unis). Chacun des États de l'Union européenne qui en a les moyens est prêt à voler au secours des banques. Mais ceux qui disposent de ces moyens, l'Allemagne en particulier, préfèrent les consacrer à leurs propres banques, c'est-à-dire à leur propre bourgeoisie. Le compromis « unitaire » qui est sorti de la réunion à Paris des dirigeants des quatre plus riches pays de l'Union a été de décider tous ensemble... le « chacun pour soi ».

Les intérêts de la bourgeoisie européenne lui dicteraient d'avoir une politique commune, à commencer par celle de contrer les États-Unis, car ces derniers feront tout pour rejeter sur les autres pays la crise qui est partie de leur système bancaire. Mais, à l'issue de plus d'un demi-siècle de « construction européenne », il n'y a pas une bourgeoisie européenne avec un État européen pour servir ses intérêts, mais une multitude de bourgeoisies rivales.

Il n'est même pas garanti que l'euro - qui n'est la monnaie commune que d'une partie de l'Union européenne - résiste à la crise. Le « chacun pour soi », c'est-à-dire le sauvetage de ses propres banques, de sa propre bourgeoisie, conduit nécessairement non seulement à l'accroissement des dépenses de chaque État, mais aussi à ce que s'aggravent les différences entre ces dépenses. Les dirigeants européens commencent d'ailleurs à parler d'un assouplissement des critères de Maastricht. Aucun des États n'aura cependant envie de payer pour une inflation de l'euro dont sera responsable un autre État. La tentation sera forte, pour certains, de se retirer de la zone euro pour en revenir à une monnaie nationale, plus facile à contrôler en fonction des intérêts de la bourgeoisie nationale.

L'Union européenne est un assemblage bancal entre quelques pays impérialistes rivaux et une majorité de pays semi-développés d'Europe centrale. En se réunissant d'urgence face à la crise financière, les dirigeants de l'Allemagne, de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Italie n'ont même pas éprouvé le besoin de dissimuler qu'il leur appartenait de prendre des décisions pour l'Europe, en écartant même leurs compères impérialistes de moindre poids. L'intégration des pays semi-développés d'Europe centrale est depuis ses débuts une source de tensions. Ces tensions ne pourront que s'aggraver car, face à la crise, la partie pauvre de l'Europe n'a aucun cadeau à attendre de la part de sa partie riche.

De surcroît, l'ensemble constitué de vingt-sept pays, où les décisions essentielles sont censées être prises à l'unanimité, est devenu pratiquement ingouvernable. Aux forces centrifuges qui agissent sur l'Union européenne, s'ajoute l'attraction des États-Unis dont l'influence sur la plupart des pays de l'Est est plus importante que celle de la France, de l'Allemagne ou de la Grande-Bretagne.

Nous ne reviendrons pas ici sur les nombreux conflits qui déchirent telle ou telle région de la planète, ni sur l'implication directe ou indirecte, visible ou discrète, des grandes puissances dans ces conflits. Aucun d'entre eux n'a été résorbé au cours de l'année. Et leur développement futur dépendra bien moins de facteurs locaux que de l'aggravation de la crise économique et de ses conséquences sur la politique des grandes puissances impérialistes.

En Irak et en Afghanistan, les puissances impérialistes sont directement impliquées. C'est l'armée américaine, accompagnée de quelques acolytes et de supplétifs locaux, qui mène la guerre en Irak. En Afghanistan, l'armée française fait partie de la coalition militaire qui occupe le pays.

En Irak, bien que la guerre ait fait moins de victimes dans l'armée d'invasion américaine cette année que l'année précédente, les États-Unis sont loin d'être en situation de s'en dégager. D'ailleurs, si des deux candidats à la présidence des États-Unis, l'un, Obama, « souhaite » se dégager rapidement de ce pays, l'autre, McCain, est partisan d'y maintenir des troupes. Mais que vaut le « souhait » d'Obama, si tant est qu'il soit élu, puisque les États-Unis n'ont toujours pas réussi à mettre en place un appareil d'État irakien tout à la fois fiable et dévoué aux intérêts américains ? Or, ils ne peuvent pas envisager un retrait de leurs troupes tant qu'elles ne sont pas relayées par des forces de répression autochtones capables de maintenir l'ordre et d'empêcher le chaos irakien de se propager dans le voisinage.

En Afghanistan, en revanche, non seulement la coalition des puissances occidentales n'est pas près de stabiliser la situation mais, au contraire, tout montre qu'elle s'enfonce dans le bourbier. Les talibans, écartés du pouvoir avec l'intervention d'octobre-novembre 2001, sont aujourd'hui en situation de mener des opérations militaires jusqu'aux abords de Kaboul, la capitale. Cela n'a rien de surprenant. L'occupation militaire étrangère en elle-même, les bombardements plus ou moins aveugles, n'ont pu que transformer les ressentiments de la population en haine contre les occupants. Les talibans - ou ceux qu'on nomme ainsi - constituant la force d'opposition la plus organisée et armée dans le pays, ils canalisent et canaliseront à leur profit cette haine.

Pire encore pour les États-Unis, il se peut qu'un nouveau front s'ouvre dans le pays d'à côté, au Pakistan. Cet État, qui était un des alliés privilégiés des États-Unis dans cette partie de l'Asie, est en train de se déstabiliser. Et là encore, comme en Afghanistan, la politique passée des États-Unis se retourne comme un boomerang contre leur politique présente.

Rappelons qu'en Afghanistan, ce sont les États-Unis qui avaient financé, armé et, dans une large mesure, formé les talibans pour les opposer à l'URSS. Dans le cas du Pakistan, le rôle des services secrets pakistanais dans le renforcement des courants islamistes est de notoriété publique. Comme il est de notoriété publique que les États-Unis ont largement contribué à la formation et à l'armement des services secrets et de l'armée pakistanais. De plus, dans les zones dites tribales qui jouxtent l'Afghanistan et qui servent de refuges aux talibans depuis leur départ du pouvoir, il semblerait que ce soit des militaires pakistanais formés dans la guerre contre l'Inde au Cachemire qui, ayant rejoint les talibans, leur ont fourni l'encadrement qui les rend aptes à intervenir en Afghanistan contre l'occupation occidentale.

On pourrait se dire que, décidément, l'expérience n'apprend rien à l'impérialisme américain ! Mais il ne s'agit pas de cela. Les États-Unis, comme la Grande-Bretagne avant eux dans la région, s'appuient systématiquement sur les forces les plus réactionnaires, les plus rétrogrades, qui, lorsqu'elles trouvent un soutien dans la population sur la base de leurs idées réactionnaires, finissent par mordre inévitablement la main qui les a nourries.

Une déstabilisation du Pakistan aurait des conséquences incalculables dans la région. De surcroît, de la même façon que par une sorte d'effet domino, l'Afghanistan a entraîné le Pakistan, l'instabilité au Pakistan peut se propager à l'Inde qui compte, rappelons-le, une importante population musulmane.

Rien de changé, en revanche, dans la situation du peuple palestinien, si ce n'est en pire. Le morcellement du territoire palestinien, la continuation des implantations de colonies israéliennes, les barrages militaires, continuent à étouffer le peu de vie économique en Palestine. De plus, la persistance de la division des territoires palestiniens entre deux autorités - celle, officielle, de l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas qui domine la Cisjordanie et celle sous la direction du Hamas qui domine Gaza - donne un moyen supplémentaire à l'État d'Israël pour les jouer l'une contre l'autre. En cherchant à isoler le Hamas, il fait mine d'engager une politique de négociations avec Mahmoud Abbas. Mais personne ne peut plus se faire aucune illusion sur l'aboutissement de ces négociations.

Aucun élément ne permet de prévoir pour un avenir prévisible une issue acceptable pour les deux peuples. D'autant moins que, pour le peuple palestinien opprimé, une issue acceptable ne se limite pas à la reconnaissance d'un État palestinien, quoique cela en constitue une condition préalable dans le contexte créé par plus d'un demi-siècle d'affrontements. Encore faudrait-il que puisse être résorbée l'inégalité économique entre les situations des deux peuples. Ce n'est pas en période de crise que cela peut être même seulement imaginé.

En Amérique latine, les sociaux-démocrates et les altermondialistes d'obédiences diverses se font une joie du passage du pouvoir à des gouvernements plus ou moins de gauche ou se déclarant plus ou moins progressistes. « L'Amérique latine rebelle », titrait même, récemment, une publication qui leur est proche.

Mais, à en juger par la politique que mènent ces dirigeants plus ou moins nouvellement investis, cette rébellion ne va pas bien loin. Au Brésil, après six ans passés au pouvoir, Lula, encensé il y a quelques années comme représentant des pauvres, exécute servilement la politique voulue par la bourgeoisie, tant internationale que nationale. Il s'est révélé incapable de toucher même à cette composante de l'arriération économique et sociale qu'est le fait que 1 % des propriétaires terriens détient la moitié des terres cultivées pendant que quatre millions de familles de paysans pauvres sont privées de terres. Et ce n'est certainement pas une consolation pour la majorité pauvre de la population que, sous Lula et dans une large mesure grâce aux illusions qu'il a semées dans les classes laborieuses, le Brésil soit devenu un grand pays exportateur... notamment d'agro-carburants !

Les coups d'État répétés contre Chavez au Vénézuela et l'opposition virulente à laquelle se heurtent Moralès en Bolivie et Corréa en Équateur montrent que, même lorsque la classe privilégiée locale n'est pas sérieusement menacée, elle sait réagir préventivement, créant là des tensions susceptibles de permettre aux États-Unis d'intervenir, directement ou par militaires interposés, s'ils en ressentent le besoin.

Après des décennies de dictatures militaires, l'Amérique latine a connu une période de gouvernements dits démocratiques. Mais aucun d'entre eux n'a mis fin aux inégalités économiques effarantes et à la dictature sociale de petites minorités. Les deux s'aggraveront avec le développement de la crise, et on ne pourra pas éternellement nourrir d'illusions les classes laborieuses. Les masses laborieuses d'Amérique latine seront alors poussées en effet vers la rébellion, mais on ne peut que leur souhaiter de faire émerger d'autres dirigeants et avec d'autres politiques que Lula, Chavez ou feu Allende. Car, comme à l'époque au Chili, la classe privilégiée se défendra bec et ongles. Et elle est sûre de pouvoir compter sur les États-Unis, car ces derniers ne laisseront pas se développer des mouvements populaires susceptibles de menacer leurs intérêts économiques dans une région qu'ils considèrent comme leur arrière-cour. Avec l'aggravation de la crise économique et les conséquences que cela peut entraîner dans les rapports des classes sociales, l'Amérique latine peut devenir, de nouveau, un foyer de tension majeur.

L'histoire ne se répète jamais, en tout cas pas à l'identique. L'avenir de la crise économique actuelle n'est pas encore écrit, bien qu'il soit d'ores et déjà évident qu'elle est d'une gravité sans précédent depuis la crise de 1929. Or, personne ne peut oublier que le krach boursier d'octobre 1929 a été suivi de la plus longue période de dépression que le capitalisme ait connue et qu'elle a entraîné des conséquences catastrophiques, et pas seulement dans le domaine économique. C'est en fin de compte la crise qui, après avoir favorisé l'arrivée au pouvoir de Hitler et l'écrasement de la classe ouvrière allemande, a permis à l'impérialisme allemand de raviver ses ambitions territoriales et qui, à partir de conflits au début limités - réoccupation de la Rhénanie par les armées allemandes, occupation de la Mandchourie chinoise par le Japon, invasion de l'Éthiopie par les troupes italiennes - a fini par déboucher sur la guerre mondiale.