Crise économique internationale et "mondialisation"

Yazdır
14 mars 1997

Depuis 1975, la production ne s'est accrue que faiblement, deux à trois fois moins vite que dans la période précédente. Et c'est justement dans cette période de fort ralentissement de l'activité productive que ce qu'on appelle aujourd'hui la mondialisation de l'économie, c'est-à-dire l'internationalisation des échanges de marchandises et de capitaux, voire de la production, a, au contraire, très fortement progressé.

C'est parce que les marchés sont trop étroits pour permettre un développement ou même le maintien de la production capitaliste que la concurrence s'est accentuée sur l'arène mondiale. Dans cette guerre, chaque entreprise capitaliste cherche à étendre ses ventes sur l'arène la plus vaste possible mais, dans ce même contexte, elle a absolument besoin du soutien inconditionnel de l'Etat du pays où elle a son centre de gravité. C'est pour cela que les chefs d'Etat, tout en participant à la négociation de divers traités, se font en même temps les représentants de commerce de leur bourgeoisie, comme actuellement Chirac en Amérique latine.

C'est pourquoi l'évolution économique actuelle a un caractère chaotique où, sans cesse, le protectionnisme le dispute à la "mondialisation".

La concurrence mène à la concentration de la production au profit d'entreprises géantes exerçant leur activité dans plusieurs pays du monde : c'est ce renforcement des multinationales qui contribue à son tour à la mondialisation de la production et des échanges.

Mais ce qui marque aussi la période, c'est la gravité du chômage, sa mondialisation bien réelle. Il touche tous les pays, non seulement les pays pauvres comme c'était le cas depuis longtemps, mais aussi les pays riches.

Ce qui, en tous les cas, est commun à tous les pays impérialistes, c'est que, malgré la stagnation relative de la production, la bourgeoisie, qui a entamé cette période en étant confrontée à un bas taux de profit, aura réussi à le rétablir par la diminution constante et majeure de la part des classes laborieuses dans le revenu national, dans les richesses produites.

Le commerce international est-il plus "mondialisé" ?

L'évolution du commerce international illustre bien les tendances contradictoires de l'économie capitaliste.

Il s'est développé, depuis les années 60, deux fois plus vite que la production mondiale, et absorberait aujourd'hui 40 % de cette production contre 25 % il y a 25 ans.

Si l'on s'en tient à ces chiffres, contestés et contestables comme toutes les mesures de l'activité économique, mais qui sont les seuls dont on dispose, le commerce international serait de plus en plus ouvert.

En fait, cela signifie d'abord que, tant qu'il y avait pénurie, les marchés intérieurs ont absorbé les productions. En permettant d'ailleurs à l'industrie d'y vendre cher, grâce au protectionnisme, et d'accumuler et de renouveler ses moyens de production.

Puis, le marché intérieur redevenu plus ou moins saturé (du point de vue capitaliste), les industriels ont pu se tourner vers l'extérieur grâce aux gains de productivité que leurs outils industriels rénovés leur permettaient alors.

Les entraves au développement du commerce international

Cependant, cette ouverture du marché international s'est faite difficilement, laborieusement, avec des retours en arrière.

Rappelons qu'au début de la crise, une foule de règlements, de normes sous prétexte de protéger l'environnement ou les consommateurs fut utilisée comme autant d'instruments protectionnistes.

Mais les grandes entreprises les plus à l'étroit dans le cadre national ont poussé à la suppression de ces barrières non-tarifaires, qui entravaient les échanges, à l'intérieur de certaines zones constituées autour des principales puissances impérialistes, comme l'Union Européenne, ou encore l'ALENA, composée des Etats-Unis, du Canada et du Mexique, ou encore l'AFTA, la zone commerciale asiatique correspondant à la zone d'influence du Japon.

Mais l'existence de monnaies nationales différentes permet aussi de jouer sur les taux de change pour protéger son industrie. Et les Etats ne s'en privent pas, pas même le plus puissant, les Etats-Unis. Ce jeu a pris une importance pour ainsi dire symétrique à la réduction des tarifs douaniers et des obstacles réglementaires.

Le cas des impérialismes européens

L'Union européenne a ceci de particulier qu'elle correspond à la zone d'influence non pas d'une seule puissance impérialiste dominante, mais à celle de trois impérialismes, rivaux depuis bien longtemps et dont les rivalités ont été la cause directe des deux guerres mondiales précédentes, à savoir l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, sans parler des impérialismes moins puissants comme l'Italie et d'autres.

Les grands monopoles de ces trois puissances impérialistes ont un besoin vital d'un marché de la taille au moins de l'Europe, tout à la fois pour mieux rentabiliser leurs productions en produisant pour un marché plus large, et suffisamment vaste pour faire vivre des groupes industriels capables de rivaliser tant soit peu avec ceux des Etats-Unis et du Japon.

Mais entre le marché commun à 6 de 1968 et le marché unique à 12 de 1993 (étendu aujourd'hui à 15), il a fallu 25 ans, un quart de siècle, de laborieuses négociations.

C'est que si les raisons de s'unir l'emportent du point de vue des grands groupes capitalistes sur les raisons de rester indépendants, tous n'ont pas le même intérêt immédiat à l'ouverture des marchés.

Et puis, il reste de toute façon le problème des monnaies européennes. S'unir à 15, c'est tenter de faire fonctionner paritairement 14 monnaies différentes.

Les problèmes monétaires de l'Union européenne

Aujourd'hui, le flottement général des monnaies perturbe les échanges à l'intérieur même de l'Union européenne. Les à-coups de la spéculation perturbent et fragilisent sans cesse le fameux marché unique. Il est difficile pour un groupe industriel qui exporte dans un pays à monnaie instable de calculer à long terme les prix auxquels il peut soumettre un marché. Sans compter que le fait que, du jour au lendemain, les exportateurs anglais ou italiens ou espagnols puissent bénéficier d'un avantage commercial même momentané, en dévaluant leur monnaie, réduit évidemment l'utilité de ce marché européen où la concurrence est censée régner sans entrave.

Les gouvernements européens ont d'abord institué en 1972 ce qu'on a appelé le serpent monétaire européen, auquel a succédé en 1979 son clone, le système monétaire européen, à l'intérieur desquels les monnaies n'avaient le droit de varier que d'un pourcentage minimum. Mais le système monétaire européen n'a pas résisté à la récession de 1992-93 et à la vague spéculative qu'elle a engendrée.

C'est ainsi que la baisse de la lire de 1992 à 1995 a permis aux exportations italiennes de concurrencer sévèrement les industries textiles et automobiles françaises. De même, la baisse de la livre sterling dans la même période a permis à la Grande-Bretagne une expansion nette résorbant une partie de son chômage. Même chose au niveau mondial où le dollar bas a permis aux Etats-Unis de se rétablir face au Japon et à l'Allemagne.

L'absence d'une monnaie à l'échelle du continent comme aux Etats-Unis est un désavantage majeur pour les monopoles européens, mais leur fragilité et leurs rivalités ont été des obstacles insurmontables jusqu'ici (et ce n'est pas fini), exactement comme pour le marché unique. Il leur faudrait se doter d'une telle monnaie, appuyée sur un marché suffisamment vaste, pour concurrencer le dollar comme monnaie internationale.

C'est que, encore à l'heure actuelle, le dollar représente 60 % des réserves de change des banques centrales de l'ensemble des pays du monde et 50 % des échanges mondiaux sont libellés en dollars, alors que la part des Etats-Unis dans le commerce mondial est de 16 %.

Quatorze monnaies différentes en Europe, c'est un héritage du passé et un véritable anachronisme économique. Et encore, en ne comptant que l'Europe des 15.

Il est difficile de savoir si les rivalités entre les bourgeoisies européennes l'emporteront ou non sur leurs intérêts communs, et si l'Euro verra finalement le jour. Mais il est certain que c'est un enjeu majeur pour les principales bourgeoisies européennes, dans ce qui est depuis un siècle la course à la mondialisation du capital financier.

En effet, malgré les flottements imprévisibles, les spéculations ou les décisions des Etats, les monnaies, sur une longue période, reflètent la force, la puissance et la crédibilité des économies. Et de ce point de vue, une entité européenne de près de 370 millions d'habitants aurait une puissance qui permettrait à chacun de ses membres de jouer un rôle bien supérieur dans l'arène économique mondiale.

L'union européenne : une construction fragile basée sur des rapports de force

Il est évident aussi qu'au-delà de la forme que pourra prendre l'Euro, c'est un Etat unifié européen ou au moins un Etat fédéral qui pourrait être le garant de l'unité de l'Europe, de la pérennité de son marché unique et évidemment de sa monnaie. Car tant que les appareils d'Etats nationaux subsistent, il leur est toujours possible de revenir sur les accords et les alliances qu'ils ont eux-mêmes acceptés.

Mais, dans chaque pays, les liens entre les grandes entreprises capitalistes et les appareils d'Etat sont tellement intimes, la mainmise du capital financier sur eux est telle, qu'un Etat européen, dépassant les rivalités et prenant en charge les intérêts généraux des différents impérialismes européens, n'est pas imaginable dans le cadre des rapports de force actuels. L'Europe politique n'est certainement pas pour demain, à moins que cela se fasse, la crise aidant, par la violence, c'est-à-dire par les moyens qu'avait voulu utiliser Hitler.

C'est que cette union est, en fonction des rapports de force, un compromis dans lequel chaque puissance a à perdre et à gagner. Les plus puissants des impérialismes comme l'Allemagne ou la France y gagneront plus et y perdront moins que l'Espagne, le Portugal ou la Grèce.

L'intérêt des capitalistes les plus puissants de ces derniers pays sera d'accéder à un marché dont, sinon, les frontières renforcées autour de l'Union européenne pourraient les écarter. Les paysans de ces pays, eux, seront peut-être bien acculés à la misère car ils ne bénéficieront peut-être pas des mêmes compensations que celles que les paysans des pays du Nord-Ouest ont obtenues pour rendre moins amère leur disparition progressive.

C'est que l'unification de l'Europe, tout comme ce qu'on appelle la mondialisation, correspond aux intérêts des multinationales, ce qui n'est pas parallèle aux intérêts des populations.

Les travailleurs révolutionnaires n'ont évidemment pas à militer pour cette Europe impérialiste. Mais s'ils ont à en combattre le caractère impérialiste, ils n'ont pas à s'opposer à l'Europe au nom d'Etats étriqués qui sont humainement, socialement et économiquement dépassés.

L'Etat national, la monnaie nationale, la souveraineté nationale, la citoyenneté nationale, ne sont pas des protections pour les travailleurs contre le capitalisme et contre les trusts. Ces trusts, cet impérialisme, ne viennent pas de l'extérieur, ils sont dans la place : au coeur de l'économie et de l'Etat.

Le commerce international : réglementé et inégal

Le caractère laborieux des négociations commerciales internationales, l'ouverture des marchés nationaux sont toujours l'expression d'un rapport de forces.

L'accord du GATT sur le commerce mondial date de 1947 mais il a été renégocié, complété au fil des années.

La dernière négociation, qui s'est achevée en 1994, a duré 7 ans et a accouché d'un accord de 500 pages, accompagné de 24 000 pages de règlements particuliers, ainsi que d'un nouvel organisme, l'Organisation mondiale du commerce (l'OMC), chargé de trancher les différends. L'accord à peine signé, les Etats-Unis, qui avaient pourtant fait prévaloir leurs intérêts, ont déjà affirmé que le droit américain primerait sur l'accord.

Cela dit, une partie importante de ce qui est comptabilisé dans le commerce international n'est en réalité que la circulation interne des produits à l'intérieur même des multinationales, d'une filiale à l'autre. Pas moins de 30 %, le tiers du commerce international des produits manufacturiers, consiste en réalité en échanges de ce type, en échanges intra-firmes. Cette proportion atteint 40 % en ce qui concerne le commerce extérieur japonais. Ce sont donc des pans entiers de la production et des échanges qui sont organisés à l'intérieur des grands groupes, et de ce fait protégés de toute concurrence et soustraits au marché mondial. Ce sont les domaines réservés et opaques des multinationales.

C'est que la mondialisation des échanges commerciaux s'effectue de façon extrêmement inégale. Par exemple, les échanges se développent beaucoup plus rapidement entre les pays d'une même zone de libre-échange, Union européenne, Amérique du nord, Zone asiatique autour du Japon, qu'ils ne se développent entre ces trois zones ces trois plaques continentales, a dit un économiste féru de géologie.

Les échanges entre les pays de l'Union européenne représentent 70 % de leur commerce extérieur.

Les pays de l'AFTA autour du Japon réalisent près de la moitié de leur commerce international entre eux.

Seule l'Amérique du nord réalise 70 % de son commerce extérieur hors de sa zone directe.

L'accroissement du commerce international n'est même pas dû au fait que les économies nationales deviendraient plus complémentaires car ce qui s'échange de plus en plus frénétiquement d'un pays à l'autre, ce sont des biens semblables et des produits semblables. Ils sont produits par des entreprises qui se font concurrence et qui essayent de se prendre les unes aux autres des parts des mêmes marchés.

C'est vrai pour l'automobile, l'électronique comme pour la plupart des produits industriels et même, aujourd'hui, des services.

80 % des échanges commerciaux entre la France et l'Allemagne par exemple sont de cette nature.

Le gaspillage que la concurrence engendre à l'intérieur des cadres nationaux est identique dans l'arène internationale : gaspillage accru en moyens de transport, en infrastructures, en énergie, en pollutions de toute sorte. Tout cela représente les faux frais croissants de la guerre économique que se livrent les capitalistes.

Enfin et surtout, le commerce international, loin d'irriguer de plus en plus la planète, est de plus en plus concentré entre les trois principaux pôles impérialistes : l'Amérique du nord, l'Europe occidentale et une petite partie de l'Asie autour du Japon.

Ces pays assuraient à eux seuls 75 % des échanges mondiaux en 1982, ils en assuraient 87 % en 1993.

Ce qui signifie que la majeure partie de la population mondiale est de plus en plus tenue à l'écart des flux du commerce international. Même si, en valeur absolue, les échanges des pays sous-développés ont augmenté, ils sont descendus de 25 à 13 % du commerce mondial, c'est-à-dire une baisse de moitié.

Il est donc bien difficile de dire si, finalement, le commerce international, dont la croissance est indéniable, est pour autant plus mondialisé, plus ouvert, plus international, qu'au début du siècle. Tout comme à l'époque, il exclut les pays pauvres, et même de plus en plus. Il concerne, tout comme au début du siècle, pour une bonne part, les échanges internes aux trusts, de même que la compétition pour vendre les mêmes produits aux mêmes consommateurs des pays riches.

L'hypertrophie des marchés financiers

Par ailleurs, la mondialisation de l'économie concerne aussi les marchés financiers, dont on parle beaucoup.

Effectivement, on a assisté à une déréglementation des marchés financiers à partir du milieu des années 80.

Auparavant, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Etats avaient imposé aux banques des règles plus ou moins strictes de fonctionnement visant à empêcher qu'elles soient fragilisées par des prêts inconsidérés dépassant trop largement leurs réserves.

Parallèlement, le contrôle des changes empêchait la sortie incontrôlée de capitaux du pays. Les Etats contrôlaient les émissions monétaires, le crédit, et par là tentaient de réguler l'activité économique.

L'endettement des Etats à l'origine de la croissance des marchés financiers

Mais les quantités considérables de monnaie émises par les différents Etats, et en premier lieu les Etats-Unis, aboutirent au fait que, par exemple, les dollars en circulation à l'étranger et qui n'étaient pas rapatriés aux Etats-Unis servirent de dépôts pour des prêts en dollars émis au départ par des banques anglaises, puis par toutes les banques qui en possédaient. La particularité de ces crédits en eurodollars, comme on les appelle, c'est d'être une sorte de monnaie qui échappe à toute réglementation, les Etats-Unis ne contrôlant pas les opérations faites sur les dollars à l'étranger, et les autres Etats ne contrôlant pas des opérations faites avec une monnaie qui n'est pas la leur.

S'ils ne contrôlaient pas l'émission de ces crédits, les Etats furent par contre les premiers à y avoir recours. Dans les années 70 et 80, ils empruntèrent massivement sur le marché des eurodollars de quoi boucler des budgets en déficit croissant.

En effet, depuis le début de la crise, les Etats se sont couverts de dettes. C'est la contrepartie de toutes les aides, de toutes les subventions ouvertes ou déguisées pour aider capitalistes, industriels et financiers à augmenter leurs profits malgré la crise.

La dette des pays industrialisés est sept fois plus importante que celle des pays sous-développés et atteint près de 14 000 milliards de dollars, plus de 70 000 milliards de francs. Cela équivaut à plus de la moitié du Produit intérieur brut mondial.

Qu'est-ce que le PIB ?

Quelques mots à propos de ce Produit intérieur brut, le PIB, dont nous reparlerons. Il est censé mesurer la richesse produite en une année. Mais, dans le Produit intérieur brut, on ne compte pas que la production ; on compte aussi l'activité de toutes les administrations et de tous les services : transports, santé, éducation, etc. On y compte même le salaire des militaires, des policiers et des curés. On y inclut la TVA et les droits de douanes sur les produits importés. Et puis la façon de compter peut changer d'un pays à l'autre, et d'une période à une autre (un peu comme les statistiques du chômage).

C'est dire que ces chiffres ne sont pas fiables, et qu'ils sont encore moins fiables pour les pays du tiers monde, où la marge d'erreur peut être carrément de un à dix ! Mais, dans le monde capitaliste actuellement, il n'existe aucun instrument de mesure de l'activité économique, pas même les monnaies, qui puisse permettre de comparer un pays à l'autre. Les statistiques dont on dispose servent tout au plus à indiquer des évolutions relatives ou des ordres de grandeur approximatifs.