L'économie mondiale soumise à quelques fonds spéculatifs

13 novembre 1998

On en est là et, depuis qu'en septembre et octobre 1998 la panique a gagné l'ensemble des Bourses des pays occidentaux, même les journalistes bourgeois ont cessé d'attribuer les crises financières du Sud-Est asiatique, de Russie ou d'Amérique latine, à de simples raisons locales. Il est trop évident qu'elles sont liées entre elles. Le fil qui les lie est le comportement de ces capitaux qui se portent d'un bout du monde à l'autre en fonction du profit qu'ils peuvent escompter ici ou là, pour se retirer dès les premiers signes de retournement, transformant la retraite en sauve-qui-peut et laissant derrière eux aux Etats et aux populations le soin de payer les conséquences.

L'économie capitaliste navigue ainsi d'un krach financier à l'autre, au gré des caprices de ces capitaux. Rappelons pour mémoire, en plus de ceux dont nous avons parlé, le krach financier de la Bourse de New York en 1987, la crise financière mexicaine de 1994-1995. Et maintenant après ceux du Sud-Est asiatique et de Russie, les dirigeants politiques et financiers de la planète savent que le prochain krach risque de se produire au Brésil, avec derrière lui l'Argentine, le Chili et le Mexique, et ils craignent aussi un nouveau krach au Japon.

Ces crises successives sont donc presque devenues un mode de vie. Elles peuvent éclater d'autant plus rapidement que ces capitaux sont désormais extrêmement concentrés entre les mains d'un tout petit nombre d'opérateurs. C'est le résultat d'une évolution relativement récente, marquée par l'essor des fonds d'investissements, il vaudrait mieux dire des fonds spéculatifs.

Ces organismes se font confier des fonds par les capitalistes, par les banques, par les grandes entreprises, et s'en servent pour spéculer sur les marchés boursiers ou sur les marchés des changes, éventuellement en se servant de ces "produits financiers" dont nous avons parlé. A ces fonds d'investissements s'ajoutent maintenant les fonds de pension, ou fonds "institutionnels". Là, il s'agit de capitalistes qui n'ont rien trouvé de mieux que de collecter les fonds versés par des salariés petits ou grands pour leur retraite, et de s'en servir pour spéculer sur les marchés. Ils promettent bien sûr de verser ensuite une retraite à ces salariés, mais en fonction des résultats de ces spéculations, ce qui rend le montant de cette retraite plus incertain pour ces salariés. En revanche, les capitalistes gestionnaires de ces fonds se débrouillent, eux, pour en retirer un profit certain.

En fait, à l'échelle internationale, ce sont quelques dizaines de fonds d'investissements et de fonds institutionnels qui dominent maintenant les marchés boursiers. Chacun représente une puissance considérable. Ils manient des sommes qui peuvent être du même ordre que le budget d'un Etat comme la France, et la décision de l'un d'entre eux de transférer ses capitaux ici ou là peut suffire à déclencher un krach boursier.

Ces fonds d'investissements peuvent aussi détenir une part importante des actions d'une entreprise. On parle d'"investissements" à propos de ces placements, car des actions sont considérées comme une part de propriété. Mais le but n'est pas dans ce cas d'y faire un investissement à long terme, mais de faire un placement financier le plus rentable possible, qui peut être retiré à tout moment, par exemple en fonction d'une quelconque rumeur sur le résultat plus ou moins bon de l'entreprise. C'est ce qui s'est produit pour Alcatel avec l'écroulement de ses actions et cela peut suffire à mettre une entreprise à genoux, ou à la merci d'un rachat par ses concurrents, même si par ailleurs sur le plan économique elle est tout à fait en bonne santé. La simple existence de ces fonds et leur comportement peuvent ainsi déstabiliser des entreprises et même l'économie.