Le grand mérite historique du capitalisme, par rapport aux formes d'organisation économique antérieures, c'est d'avoir développé les capacités de production à une échelle insoupçonnée jusqu'alors.
Il a fait sortir les sciences et les techniques de leur berceau, pour les mettre au service du développement capitaliste. Il a remplacé les ateliers par des usines de plus en plus grandes se fournissant dans le monde entier et produisant pour le monde entier ; l'agriculture parcellaire par l'agriculture industrielle ; la boutique des usuriers par de puissantes banques qui ont des capitaux dans un grand nombre de pays. Il a poussé la division internationale du travail à un point tel que l'économie est aujourd'hui un tout à l'échelle de la planète. La mondialisation dont on parle tant aujourd'hui est en marche depuis les débuts du capitalisme. Voilà pourquoi, soit dit en passant, combattre la mondialisation sans combattre le capitalisme, est une prétention aussi utopique que réactionnaire. Et c'est bien un signe du recul des véritables idées socialistes et communistes qu'un parti qui se revendique du mouvement ouvrier, comme le Parti communiste français, se retrouve, par rapport à la mondialisation, sur les mêmes positions réactionnaires qu'un de Villiers ou qu'un Le Pen. Ce n'est pas la mondialisation de l'économie qui est mortelle pour la société, c'est le fait que cette économie mondialisée reste soumise aux lois aveugles du marché et à la domination du grand capital. Mais c'est précisément la division internationale du travail qui permettra demain à l'humanité, débarrassée une fois pour toutes du capitalisme, de produire suffisamment en qualité comme en quantité pour assurer à chacun selon ses besoins.
La recherche du profit privé et la concurrence ont toujours été les seuls aiguillons du développement sous la forme capitaliste. Même à l'époque, il y a deux siècles, où ce mode de production représentait un progrès considérable par rapport à l'immobilisme des modes de production qu'il a détruits, le capitalisme s'est toujours développé en poussant à la misère une majorité de la population pour permettre à une minorité de concentrer des richesses croissantes entre ses mains. Même dans sa période ascendante, le développement capitaliste a été chaotique, marqué par des crises économiques périodiques, c'est- à-dire par d'immenses gaspillages de forces de travail.
Le capitalisme s'est développé dans la souffrance et le sang dont le commerce des esclaves n'a été qu'un des aspects les plus caractéristiques ; en Angleterre par exemple, où il a débuté, il a grandi en transformant des hommes, des femmes et des enfants en simple prolongements des machines et affamé, en les chassant de leurs terres, des milliers de paysans pour les transformer en ouvriers d'industrie surexploités; il a conquis la planète en en faisant l'arène de ses pillages et de ses guerres coloniales.
Mais ce qui rend à la fois possible et nécessaire le remplacement du capitalisme par une forme d'organisation économique supérieure, c'est qu'il est devenu un obstacle au progrès. Les capacités productives depuis déjà des dizaines d'années, voire un siècle, sont plus que suffisantes pour assurer à tous les peuples de la Terre, une vie convenable. Mais ces capacités productives ne sont pas contrôlées par la collectivité. Elles sont soumises aux intérêts du profit capitaliste et aux lois aveugles du marché.
"L'homme a cessé d'être l'esclave de la nature pour devenir l'esclave de la machine et, pis encore, l'esclave de l'offre et de la demande. La crise mondiale actuelle témoigne d'une manière particulièrement tragique combien ce dominateur fier et audacieux de la nature reste esclave des puissances aveugles de sa propre économie. La tâche historique de notre époque consiste à remplacer le jeu déchaîné du marché par un plan raisonnable, à discipliner les forces productives, à les contraindre d'agir avec harmonie, en servant docilement les besoins de l'homme".
Voilà, résumé par Trotsky, quelques années après la révolution d'Octobre 1917, le programme de la révolution sociale. Mais bien avant la révolution russe, cela avait été le programme du mouvement ouvrier politique, des partis socialistes de la fin du siècle dernier.
Et voilà que ce 7 novembre 1917, c'est le peuple russe, ouvriers et paysans sous l'uniforme et le prolétariat industriel qui, en prenant le pouvoir, a fait de ce programme de transformation sociale un programme de gouvernement.