Les conservateurs : un discrédit qui vient de loin
Le 4 juillet, il faudrait un miracle pour que les conservateurs conservent leur majorité. Semaine après semaine, les sondages pronostiquent les Tories à 20 points derrière le Labour. Cette chute annoncée tient à leur perte de crédibilité non seulement auprès de la population mais auprès des capitalistes eux-mêmes, alors que le Parti conservateur a été pendant des décennies leur parti de gouvernement de prédilection, une sorte de représentant « naturel ».
Les classes laborieuses ont de solides raisons d’en vouloir à l’écurie politicienne qui tient les commandes de l’État depuis 2010, tant ils ont vu les difficultés s’accumuler dans leur vie quotidienne pendant cette période. Bien sûr, le facteur fondamental du recul continu des conditions d’existence du monde du travail est la crise mondiale du capitalisme et, dans ce contexte, l’offensive du grand patronat britannique pour préserver ses profits en pressurant toujours plus les salariés. Mais les gouvernements conservateurs successifs ont été les complices, voire les maîtres d’œuvre de ces attaques. Ils n’auront donc pas volé la claque électorale à venir.
En devenant premier ministre en 2010, David Cameron avait promis de réparer une « société brisée ». Mais son gouvernement, qui unissait conservateurs et libéraux-démocrates, s’employa à détruire des services publics déjà mal en point. Il supprima des centaines de milliers d’emplois publics sous le prétexte de réduire la dette contractée par son prédécesseur, le travailliste Gordon Brown, qui lors de la crise des subprimes avait renfloué le système bancaire à coups de centaines de milliards de livres. Le résultat, ce furent des services municipaux démantelés et des économies dramatiques dans la santé et l’éducation, sur fond de précarité croissante des emplois.
En 2016, contesté au sein de son parti par les « eurosceptiques » et menacé sur sa droite par la percée du parti UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) aux européennes de 2014, Cameron tenta un coup politique en organisant un référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, le fameux Brexit. Trop sûr de faire gagner le non au Brexit, il se retrouva dans la position de l’arroseur arrosé. Ses rivaux, Boris Johnson en tête, menèrent une campagne nauséabonde, marquée par la démagogie xénophobe. Ils promirent de rediriger 350 millions de livres par semaine de Bruxelles vers le système de santé britannique, le NHS (National Health Service). Et le 26 juin 2016, les Brexiters l’emportèrent. Certes, ce fut de justesse (51,9 %) et avec une participation de 72,2 % seulement. Mais cette gaffe politicienne accoucha de conséquences bien plus importantes que la démission de Cameron. Dans un pays déjà en crise, les fragiles équilibres économiques et politiques furent mis à mal et, en 2024, la société britannique n’a toujours pas fini d’en payer le prix.
Le Brexit et ses conséquences
Sur le plan économique, le Brexit, avant même son entrée en vigueur le 31 janvier 2020, a compliqué la circulation des biens et des personnes, ce qui, pour une économie de plus en plus intégrée à l’UE, n’a pas été sans dommages. La marche vers le Brexit a vu le départ de centaines de milliers de travailleurs européens, et donc des pénuries de main-d’œuvre en cascade : dans les hôpitaux, les Ehpads, les services d’aide à la personne ; dans l’agriculture et le BTP ; dans le transport et la logistique, etc. Bien que ces départs aient été en partie compensés depuis par une augmentation de l’immigration extra-européenne, le NHS reste sous-doté en personnel, avec des dizaines de milliers de postes vacants. Sur le plan des échanges de marchandises, la réintroduction d’une multitude de contrôles à la frontière a conduit à des engorgements. Et elle alourdit les tâches administratives de chaque entreprise commerçant avec l’UE. En somme, le Brexit, remettant des murs là où ils avaient disparu, a été cause de dysfonctionnements à foison, y compris du point de vue de la bonne marche des affaires des capitalistes.
Sur le plan politique aussi, le Brexit a multiplié les sources d’instabilité. Le départ du Royaume-Uni de l’UE début 2020 a ravivé les tendances nationalistes tant en Écosse qu’en Irlande du Nord, où le vote pro-Brexit avait été minoritaire. Les nationalistes écossais du SNP, avec leur perspective d’une sécession de l’Écosse d’une part, les nationalistes du Sinn Fein avec celle d’une réunification de l’Irlande d’autre part, présentent désormais ces voies comme le seul moyen de revenir au sein de l’UE et ainsi d’échapper, disent-ils, aux politiques antisociales dictées par Londres. Certes, cet éclatement du Royaume-Uni n’est pas pour demain. Mais le Brexit entretient des foyers de tension dont la grande bourgeoisie britannique se passerait bien. En Irlande du Nord, c’est surtout le courant unioniste, allié théorique des conservateurs, qui a rué dans les brancards. En 2021, Johnson les avait en effet mécontentés avec un « protocole nord-irlandais » introduisant une barrière douanière en mer d’Irlande, au sein même du Royaume-Uni. Celle-ci ayant été assouplie depuis, la bronca est retombée. Mais on n’a peut-être pas encore tout vu des effets dominos du Brexit dans ces régions.
Une classe dirigeante déçue par son personnel politique
C’est que le Brexit a été d’abord le résultat d’un bras de fer entre conservateurs et des petits calculs des uns et des autres, pas d’un choix du grand patronat, qui avait plutôt profité de l’entrée dans le marché commun en 1973 et voyait a priori plus d’inconvénients que d’avantages à une sortie de l’UE. Une fois le référendum passé, puisqu’on ne pouvait revenir dessus facilement, la bourgeoisie chargea la remplaçante de Cameron, Theresa May, de négocier avec les autorités européennes un accord favorable à ses intérêts. May, pour sa part hostile au Brexit, accepta cette mission avec abnégation mais sans succès, et céda la place en juillet 2019 au champion du Brexit, Johnson, qui jura qu’il se chargerait de le « réaliser » (Get Brexit done).
Certes, Johnson a présidé à la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Certes, en décembre 2019, son parti a remporté des dizaines de circonscriptions ouvrières traditionnellement acquises aux travaillistes. Mais les promesses d’investissements massifs et de « rééquilibrage » entre régions (levelling up) n’ont évidemment pas été tenues. Ainsi, HS2, le projet de lignes ferroviaires à grande vitesse pour desservir le nord de l’Angleterre, a été abandonné. Le mirage d’une Grande-Bretagne revivifiée par la grâce du Brexit s’est envolé. La Bourse de Londres, au lieu de capter de nouveaux capitaux venus du monde entier, a commencé à être éclipsée par ses rivales de Paris et Francfort. Au lieu d’une croissance à 5 %, l’économie a oscillé entre stagnation et récession. Et les problèmes sociaux ont empiré. En 2020-2021, la gestion calamiteuse de la pandémie par Johnson a fait de la Grande-Bretagne l’un des pays riches les plus durement touchés, avec plus de 200 000 morts. Les images le montrant en train de faire la fête pendant qu’il imposait confinement et sacrifices à toute la population ont achevé de salir sa réputation, rendant sa démission inévitable en juillet 2022.
Mais le Parti conservateur a réussi à apparaître comme plus irresponsable encore avec la Première ministre Liz Truss qui, du 5 septembre au 24 octobre 2022, s’est comportée en apprentie sorcière de l’économie. Se prenant pour une nouvelle Thatcher, elle promit aux riches des baisses d’impôts si astronomiques que les marchés paniquèrent. Le « mini-budget » de son ministre des Finances promettait des déficits publics tels que la valeur des bons du Trésor britannique fut menacée. Au bord du cataclysme, les banques exigèrent un rétropédalage, qu’elles obtinrent. Mais si l’effondrement fut évité in extremis, la remontée des taux d’intérêt qui suivit étrangla des millions de ménages, obligés de revoir à la hausse leurs remboursements immobiliers.
Sunak, ambiance fin d’un règne
L’impopularité du gouvernement Sunak ne tient donc pas seulement à sa personne, même si le fait qu’il soit un millionnaire époux d’une milliardaire y a sa part. Elle est surtout due au fait qu’il incarne un Parti conservateur devenu synonyme de scandales à répétition et de petits arrangements entre amis, un parti de privilégiés n’ayant que mépris pour le plus grand nombre, à un moment où la vie n’a jamais été aussi difficile pour les classes populaires. Pour tenter de renverser la vapeur, Sunak en est réduit à de grosses ficelles. Juste avant les élections locales, le 23 avril 2024, il a enfin fait adopter sa loi Rwanda, espérant que cette mesure antimigrants lui ferait regagner des électeurs. Mais l’opération politique a fait plouf. Plus récemment, il a proposé de réintroduire le service national – aboli fin 1960 –, annonce faite elle aussi pour flatter les électeurs les plus réactionnaires. Mais elle sera tout aussi peu efficace pour stopper l’hémorragie de voix. Les députés conservateurs eux-mêmes n’y croient pas : ils sont 78 sur 369 à ne pas se représenter, et une poignée a même rejoint le Labour.
Dans un article du 13 juin, le Financial Times dresse donc un bilan sévère du long règne des conservateurs, évoquant des « années perdues ». Dans un monde de plus en plus agité, il estime que le Parti conservateur a manqué de capitaines compétents et que Cameron, Johnson puis Truss n’ont fait qu’ajouter du chaos au chaos. Signe de ce désordre, il souligne qu’en moyenne, les ministres conservateurs des quatorze dernières années sont restés moins de deux ans en poste. Et il revient sur le coût du Brexit : une productivité en baisse de 4 %, un commerce international amputé de 15 %.
Bien sûr, les difficultés en série de l’économie britannique et les soubresauts politiques qui ont fragilisé la gouvernance de la Grande-Bretagne ces dernières années ne sont pas imputables aux seuls errements des conservateurs ni à leurs guerres intestines. Ce grand tumulte a pour cause plus profonde la crise du capitalisme mondial depuis les années 1970 et l’incapacité de la classe dirigeante à surmonter les contradictions de son propre système. Mais précisément parce que les bourgeois savent l’avenir incertain, il leur faut des serviteurs à la hauteur de la situation. Or il semblerait qu’on soit arrivé à un moment où, après des décennies de bons et loyaux services, le Parti conservateur est au sens le plus littéral usé par l’exercice du pouvoir et tout juste bon à passer la main à son remplaçant attitré dans la gestion du capitalisme en crise : le Parti travailliste.
Une campagne travailliste sous le signe de la prudence
Face à des Tories au plus bas, le Labour, du haut de ses 20 points d’avance dans les sondages, mène une campagne a minima. En tant que second grand parti de gouvernement depuis les années 1920, il entend profiter presque naturellement de la déconfiture de son rival. Dans chacune de ses interventions médiatiques, Starmer se contente de présenter son parti comme une version plus sérieuse, plus respectable du Parti conservateur. Jugé terne par certains, ce barrister venu tard à la politique a peaufiné son image d’homme d’État responsable vis-à-vis de la bourgeoisie. La presse patronale lui sait gré d’avoir purgé le parti de sa frange gauche, celle qui entre 2015 et 2020 s’était reconnue en Jeremy Corbyn et en son langage socialisant voire pro-ouvrier, qui se voulait en rupture avec les gouvernements New Labour (1997-2010). Pour tourner cette page, pour refaire du Labour un parti prêt à gouverner au service des capitalistes le jour où les Tories seraient grillés, Starmer n’a pas lésiné sur les moyens.
Pour écarter Corbyn et ses partisans, Starmer a colporté à son encontre des accusations d’antisémitisme. Ces procès en sorcellerie ont connu un regain à partir du 7 octobre 2023. Ce qui est reproché à Corbyn, antiraciste de toujours, est en fait son antisionisme et sa critique des gouvernements israéliens. Cet acharnement est aussi et surtout une façon pour Starmer d’affirmer son alignement sur la politique des États-Unis au Moyen-Orient, et une garantie offerte aux puissants qu’il est, en affaires étrangères, entièrement de leur côté. Starmer ne peut pas se réclamer ouvertement de l’héritage de Tony Blair qui, en 2003, avait envoyé des troupes britanniques en Irak : cet alignement sur la politique de George W. Bush avait donné lieu aux manifestations les plus massives de toute l’histoire de la Grande-Bretagne. Mais les déclarations de Starmer, notamment sur l’aide militaire à l’Ukraine, ne laissent place à aucune ambiguïté : il est prêt, en tant que futur représentant de l’impérialisme britannique, à se mettre au service du gendarme du monde.
Sur le plan de la politique intérieure aussi, Starmer tient à donner des gages au grand patronat. Pendant la vague de grèves de 2022-2023, il a interdit aux députés travaillistes de se montrer sur les piquets devant les gares ou les hôpitaux. Il n’était pas question de laisser entendre que les représentants politiques du Labour puissent cautionner la moindre protestation venue du monde du travail. Plus récemment, lors d’une rencontre avec des électeurs diffusée sur Sky News, il a répondu à un médecin du service public, qui l’interpellait sur le décrochage des salaires, que les grèves dans les hôpitaux avaient été néfastes pour les patients et qu’il ne s’engageait pas à augmenter les payes, mais à éviter les conflits sociaux en étant meilleur négociateur que le gouvernement Sunak. De même, sur l’immigration, Starmer n’accuse pas les conservateurs de cibler les travailleurs migrants mais de les laisser entrer en trop grand nombre dans le pays. Il promet d’abolir la loi Rwanda… parce qu’il la juge trop coûteuse et inefficace pour endiguer l’immigration. Starmer a d’ailleurs accueilli courant mai dans les rangs du Labour une certaine Nathalie Elphick, transfuge du Parti conservateur connue pour être au moins aussi à droite que la tristement célèbre Suella Braverman, ancienne ministre de l’Intérieur (2022-2023) particulièrement hostile aux migrants.
Aux journalistes qui tentent de le faire passer pour un partisan du tax and spend (imposer puis dépenser), Starmer s’engage à ne pas augmenter les impôts, ce qui, à un moment où tous les services publics souffrent du manque d’investissements, revient à promettre qu’ils resteront décatis. Même les libéraux-démocrates font figure de gauchistes à côté, avec leurs engagements à taxer les profits des banques pour financer les aides à la personne. Mais pour Starmer, tout empiètement sur les grandes fortunes est exclu. On comprend que le Financial Times fasse l’éloge du chef du Labour qui, au lendemain des élections, devrait selon lui devenir « le plus fiable des dirigeants des démocraties libérales ». Cette posture de Starmer n’est pas sans risques. Les travaillistes ont tellement mis l’accent sur leur sens des responsabilités vis-à-vis des privilégiés, ils ont tellement vidé leur programme de tout contenu pouvant être compris comme radical ou contestataire, qu’ils apparaissent de plus en plus comme des frères jumeaux des conservateurs. Et bien des travailleurs ne voient plus pourquoi ils devraient leur donner leur voix.
Les syndicats à la remorque de Starmer
Dans cette campagne, Starmer bénéficie du soutien de la plupart des chefs des syndicats. Cela comptera, même s’ils sont passés de 13 millions de membres en 1979 (leur sommet) à 7 millions seulement aujourd’hui. Même Mick Lynch, cheminot à la tête d’un syndicat, le RMT, qui n’est plus affilié au Labour Party depuis 2003, défend le vote travailliste auprès de sa base. Il juge Starmer « un peu fade » et souhaiterait un programme « plus audacieux », mais le RMT appelle à faire campagne pour les travaillistes. Lynch justifie ce choix par leur Nouvelle donne pour les gens qui travaillent (New Deal for Working People). Ce texte contient certes la promesse de revenir sur une loi de 2016 restreignant le droit de grève et sur une autre de 2023 instaurant un service minimum. Mais elle est loin de revenir sur toutes les mesures antiouvrières des années Thatcher. Quant à l’engagement à renationaliser une partie des chemins de fer, les conservateurs eux-mêmes ont fait des pas dans ce sens tant les dégâts de la privatisation de 1993 sont patents.
Des critiques plus acerbes ont été formulées par Sharon Graham, dont le syndicat UNITE est lui affilié au Parti travailliste. Elle accuse à juste titre Starmer de mettre de l’eau dans son New Deal pour complaire aux milieux patronaux. En effet, il ne parle plus de rendre illégaux les contrats dits « zéro heure », ces CDD qui ne garantissent aucun revenu minimum, ni d’interdire la pratique dite « virer et réembaucher » (fire and rehire), qui permet à un employeur de faire signer un contrat de travail moins avantageux à un salarié qu’il vient de licencier. Graham souligne par ailleurs qu’en 2023, les travaillistes ont reçu 14 millions de livres de la part d’entreprises et de riches donateurs, contre 6 millions de la part des syndicats. Derrière ces justes observations, Graham en veut surtout à Starmer de traiter les bureaucraties syndicales par-dessus la jambe, mais elle affirme qu’elle n’en votera pas moins pour les travaillistes.
Ce suivisme n’est pas pour surprendre. Les dirigeants syndicaux sont derrière le Labour depuis toujours, puisque ce parti, à sa fondation en 1906, se voulait leur voix dans l’arène parlementaire. De fait, ni la bureaucratie syndicale ni la direction du Labour ne déterminent leur politique en fonction des intérêts de la classe ouvrière, comme on a pu le voir encore lors des grèves de 2022-2023. Les chefs syndicaux les ont conduites dans une impasse en les maintenant sur des rails corporatistes, en les émiettant, voire en signant des accords indignes entérinant une baisse des salaires. Alors que dans plusieurs branches, les syndicats ont mandat pour poser des préavis de grève, ils ont presque tous fait le choix de suspendre les mouvements le temps des élections, comme si le retour des travaillistes au gouvernement allait permettre d’obtenir les avancées pas obtenues par la lutte. C’est semer des illusions, car Starmer n’a rien à offrir aux travailleurs et il s’en cache à peine.
Pour qui voteront les mécontents ?
Même à travers le prisme déformant des sondages électoraux, on peut se faire une idée de la profondeur de la crise sociale en Grande-Bretagne. Les préoccupations mises en avant par les sondés sont toujours les mêmes : la difficulté à faire face aux dépenses courantes et la détérioration des services publics. C’est en 2022, suite à l’invasion de l’Ukraine, que les prix déjà en hausse ont explosé, provoquant la pire crise du coût de la vie depuis des décennies. L’état pitoyable des systèmes de santé et d’éducation n’en a été que plus durement ressenti par les familles ouvrières. Les banques alimentaires sont de retour et la pauvreté infantile est repartie à la hausse. En 2024, les prix ont cessé de flamber mais ne sont pas redescendus, si bien que se nourrir, se chauffer et se loger restent un défi pour des millions de travailleurs. Plus de 7 millions de personnes sont sur liste d’attente pour un rendez-vous à l’hôpital, plus d’un million de foyers sont en attente d’un logement social. Et les prisons débordent.
Aux yeux d’un nombre croissant de travailleurs, on ne peut pas faire confiance aux grandes formations politiques et à leurs représentants pour que les choses aillent mieux. Cela s’est traduit aux élections locales anglaises du 2 mai par une participation plus faible encore que d’habitude (entre 20 et 25 %). Et il est possible que l’abstention soit également élevée le 4 juillet. Le mécontentement pourrait aussi se traduire par un report des voix vers de plus petites organisations. À droite, le parti d’extrême droite du démagogue Nigel Farage, Reform UK, a été cette semaine donné pour la première fois devant les Tories dans un sondage, avec 19 % contre 18 %. Cette poussée a de quoi inquiéter, ne serait-ce que parce que Reform UK aura des candidats partout et risque de capter des voix dans les régions les plus durement frappées par la crise. Et elle pourrait s’accélérer au-delà de l’élection une fois passé le bref « état de grâce » du gouvernement travailliste. Au centre, ce sont les libéraux-démocrates et les Verts qui pourraient engranger les voix des déçus des conservateurs comme des travaillistes, surtout dans la jeunesse petite-bourgeoise qui n’a pas renoncé à voter.
À gauche enfin, les candidats travaillistes dits indépendants, à savoir ceux que Starmer a mis au ban pour avoir appelé trop tôt à un cessez-le-feu à Gaza, pourraient damer le pion aux candidats officiellement intronisés, en particulier dans les villes où la population musulmane est nombreuse, mais aussi dans les circonscriptions populaires où les postures pro-business et bellicistes de Starmer ne passent pas. Tel est aussi le calcul du député ex-travailliste George Galloway. Ce catholique affirmé, initiateur en 2004 du parti Respect opposé à la guerre en Irak, présente 150 candidats sous l’étiquette Workers’ Party (Parti des travailleurs). Plus marginalement, la volonté de protester contre la situation et le refus de choisir entre Sunak et Starmer s’exprimera peut-être aussi à travers des votes pour la cinquantaine de candidats de la TUSC. Cette Trade Union and Socialist Coalition (Coalition syndicaliste et socialiste), fondée à l’occasion des législatives de 2010, regroupe des syndicalistes qui ne se reconnaissent pas dans le Labour ainsi que les trotskystes du Socialist Party (ex-Militant). Les chances de voir ces petits partis ou candidats hors cadre entrer à la Chambre des communes sont toutefois minces, du fait du mode de scrutin, uninominal et majoritaire à un tour, qui donne un net avantage aux deux grands partis établis.
Pour les travailleurs, pas de solution hors d’une riposte collective
La dissolution du Parlement britannique le 30 mai a donné le coup d’envoi de la campagne des législatives, causant une grande effervescence dans les cercles politico-médiatiques. Mais ce cirque électoral suscite peu d’intérêt dans les classes populaires, et c’est bien normal. Aucun des politiciens professionnels en lice dans cette compétition ne mérite leurs voix. Quand Sunak passera la main à Starmer, ce sera certes un événement pour ceux qui quitteront leur place au Parlement ou au gouvernement et pour ceux qui les remplaceront. Mais pour les travailleurs, ce passage de relais au sommet ne changera rien. La seule nouveauté, ce sera la couleur politique des ministres qui leur porteront les coups. Dans ces élections comme dans bien d’autres à travers le monde cette année, il n’y a pas d’enjeu pour les exploités. Aucune solution à leurs problèmes ne peut sortir des urnes. Pour se défendre contre les coups d’abord, pour arracher le pouvoir aux capitalistes ensuite, les travailleurs britanniques, comme les autres, ne pourront compter que sur leurs combats collectifs.
20 juin 2024