Grande-Bretagne – Le Parti travailliste est de nouveau sur le sentier de la guerre... électorale

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été 1991

Bien que les prochaines élections puissent se tenir n'importe quand dans les douze mois qui viennent, la campagne électorale est déjà largement engagée. En fait, elle a commencé, au moins en arrière-plan, dès le mois de novembre, au moment où Thatcher a démissionné de son poste de Premier ministre.

Reste à savoir si, après trois échecs électoraux successifs, le Parti travailliste réussira cette fois à arriver au pouvoir. A en croire les sondages comme les résultats des élections partielles et municipales, il y parviendrait sans doute si les élections se tenaient aujourd'hui. Mais dans trois, six ou neuf mois, ce sera une autre affaire, même si on peut supposer que la récession actuelle a plus de chance de profiter au Parti travailliste qu'aux conservateurs.

Et, en admettant que les travaillistes arrivent au pouvoir, pourront-ils s'appuyer sur une majorité au Parlement ? Ou bien devront-ils former un gouvernement minoritaire reposant sur une forme ou une autre d'alliance avec les libéraux-démocrates ou même, pourquoi pas, avec des conservateurs "modérés" ?

Pour l'instant on ne peut répondre à aucune de ces questions. Mais ce que l'on peut dire, c'est que l'expérience des gouvernements travaillistes passés et celles des divers gouvernements sociaux-démocrates européens au cours de ces dix dernières années donnent une idée de ce à quoi on peut s'attendre au cas où les travaillistes viendraient au pouvoir.

Dans une période de recul de la lutte de classe, si le Parti travailliste venait au pouvoir, ce serait sur les mêmes bases que n'importe quel autre parti bourgeois. 0n verrait changer quelques têtes et quelques formules mais, sur le plan des actes, ce ne serait pas différent des conservateurs. Tout comme son prédécesseur, et en usant en gros des mêmes méthodes, un gouvernement travailliste ne ferait que défendre et promouvoir les intérêts du système capitaliste aux dépens de la classe ouvrière. Sur ce plan, il ne peut y avoir le moindre doute.

D'un autre côté, qu'il soit au gouvernement ou dans l'opposition, le Parti travailliste sera l'un des obstacles que la classe ouvrière trouvera presque inévitablement sur son chemin le jour où elle se mettra en mouvement. Reste à savoir quelle sorte d'obstacle.

Pour nous, communistes révolutionnaires, c'est là une question d'importance. Et on peut trouver quelques éléments de réponse à cette question dans la façon dont le Parti travailliste se présente aujourd'hui et dans l'attitude qu'il adopte à l'égard des aspirations des travailleurs à un moment où il cherche encore à gagner leurs voix. Ces deux éléments peuvent donner une idée de jusqu'où les dirigeants travaillistes sont prêts à aller pour imposer leurs objectifs à la classe ouvrière et étouffer toute résistance en son sein, et dans quelle mesure le Parti travailliste lui-même est préparé à jouer ce rôle.

Le test de la guerre du Golfe : le front patriotique

Dans la préparation de la guerre du Golfe, la direction travailliste devança presque Bush sur le chemin de l'offensive. En août, peu après l'invasion du Koweit, Kinnock déclara : "L'issue nécessaire doit aller jusqu'à priver Saddam Hussein de tout prestige spécial et de tout gain aux yeux des autres Arabes."

Puis, lorsque Thatcher décida d'envoyer les troupes en Arabie Saoudite, Kinnock fit en sorte de dissiper le moindre doute quant à sa position, soulignant dans une interview au quotidien Times : "Face aux mêmes circonstances, un gouvernement travailliste n'aurait pas agi autrement" (17 septembre 1990).

Cette prise de position va-t-en-guerre provoqua bien quelques réactions d'opposition au sein du parti, du fait des vieilles traditions pacifistes dont il est imprégné, en particulier au travers de ses liens avec la campagne pour le désarmement nucléaire. Cela dit, ce pacifisme s'est toujours plus préoccupé de problèmes lointains ou marginaux, sans aller jusqu'à se battre sur des terrains qui puissent comporter un enjeu pour l'État britannique, comme par exemple son intervention militaire en Irlande du Nord. Il en alla de même avec la crise du Golfe. Il y eut bien quelques adhérents pour cesser d'aller à leurs réunions de section, par écœurement, et quelques-uns se joignirent aux manifestations contre la guerre. Mais, pour l'essentiel, le parti ne fut guère troublé. A son congrès annuel, en octobre, une motion fut votée par 87 % des mandats, disant : "Le Parti travailliste considère que la décision du gouvernement du Royaume Uni d'envoyer les troupes britanniques dans la région est nécessaire et justifiée".

Cette prise de position ne laissait aucune ambiguïté. Non seulement le Parti travailliste choisissait le camp de l'ordre impérialiste mondial, mais il se montrait également préoccupé des intérêts spécifiques de l'impérialisme britannique au Moyen-Orient.

Pour être juste, il faut ajouter qu'au cours des mois suivants quelques députés travaillistes défièrent la ligne du parti au Parlement en s'abstenant dans des votes sur le Golfe. Mais seuls une poignée d'entre eux firent le choix d'affirmer leur position publiquement. Ceux qui démissionnèrent ou furent démis de leur poste de responsabilité dans le groupe parlementaire n'allèrent même pas jusque-là.

Une démonstration de "responsabilité"

C'est en novembre que l'on eut l'exemple le plus significatif de la position du Parti travailliste dans la crise du Golfe. A cette occasion, celui-ci tint à montrer qu'il était un parti "responsable" au point d'être prêt à mettre de côté ses intérêts politiciens au profit de l'effort de guerre.

Les politiciens conservateurs étaient des plus nerveux. La débâcle qu'ils avaient essuyée lors de l'élection partielle d'Eastbourne - bastion traditionnel s'il en fut - à laquelle s'ajoutait la montée des travaillistes dans les sondages (ils avaient plus de 14 % d'avance), provoqua une crise au sein du Parti conservateur. Pour la première fois on osa remettre en question ouvertement le rôle dirigeant de Thatcher. Les députés conservateurs du rang lui reprochaient les échecs électoraux de plus en plus nombreux. Ils lui reprochaient en particulier l'impopularité de son nouvel impôt local, la poll tax. Les vieilles factions restées hostiles à Thatcher au sein du Parti conservateur sautèrent sur l'occasion et l'obligèrent à se soumettre à une réélection en tant que leader du parti (et donc en tant que Premier ministre).

Le 22 novembre, Thatcher démissionnait de son poste, expliquant que "en ne me représentant pas, je servirai mieux l'unité du parti et la possibilité d'une victoire aux prochaines élections". En même temps, elle poussa devant elle John Major, un membre peu connu de son équipe et trop nouveau dans le parti pour être associé à l'une de ses factions, et elle le fit élire à sa place, préservant ainsi au Parti conservateur une apparence d'unité.

Que faisait la direction travailliste pendant ce temps ? Eh bien, elle se tenait coite. Thatcher, l'ennemi juré, se faisait débarquer par ses propres partisans, mais cela ne semblait pas susciter l'intérêt du Parti travailliste. Qui plus est, il ne semblait pas même anxieux de sauter sur l'occasion, même pas pour tirer avantage de la désunion évidente du Parti conservateur. Bien sûr, il y eut quelques députés travaillistes pour lancer des plaisanteries au Parlement et une motion de censure symbolique fut présentée. Mais ce fut tout. En-dehors des lecteurs assidus des rubriques parlementaires de la presse, rares furent les gens qui en entendirent parler hors du Parlement. En revanche l'éloge de Thatcher prononcé par Kinnock à la tribune des Communes fit beaucoup de bruit.

Il y avait une raison bien simple à cette réaction si modérée. D'abord la direction travailliste montrait ainsi tout son respect pour le cadre constitutionnel et pour le système du bipartisme. Mais surtout, à un moment où la guerre était à l'ordre du jour et où l'on envoyait encore plus de soldats britanniques dans le Golfe, le Parti travailliste tenait à montrer qu'il ne cherchait à tirer aucun profit électoral de la situation et que, en ce sens, il se montrait plus responsable envers les intérêts de l'État britannique que les politiciens conservateurs eux-mêmes.

Comment la question de la poll tax fut désamorcée

L'opposition verbale du Parti travailliste à la poll tax a été, sans aucun doute, son meilleur atout électoral depuis que cet impôt a été introduit. Elle exprimait non seulement la colère de ceux qui ne pouvaient pas payer mais aussi l'indignation de couches plus aisées, parmi lesquelles de nombreux électeurs conservateurs, qui ou bien étaient choqués par l'injustice flagrante de cet impôt, ou bien ne pouvaient digérer le fait que, par exemple, une épouse n'ayant jamais payé d'impôt jusqu'alors, faute de revenus propres, ait à payer la poll tax - même si cela diminuait par ailleurs la note totale à payer.

D'un autre côté, comme l'avaient prouvé les manifestations spectaculaires de mars 1990, c'était une question brûlante. Une fraction de la population, en particulier dans la jeunesse ouvrière, semblait prête à se battre sur cette question et même à s'affronter avec la police. Et, comme le montrait déjà l'exemple de l'Écosse, derrière ceux-là, il y en avait des centaines de milliers d'autres qui étaient décidés à ne pas payer, défiant ainsi par leurs actes l'autorité de l'État.

Aussi, dès le début, et il fut le seul à le faire dans le parti à ce stade (mais pas pour longtemps), Kinnock choisit de faire face au risque de voir la situation devenir incontrôlable en déclarant que "la loi doit être respectée". Si la poll tax devait être supprimée, cela devait se faire par le bulletin de vote et non en se battant contre la police ou les huissiers, même pas en descendant dans la rue.

Là encore, il n'était pas question pour le Parti travailliste de cautionner l'action directe contre l'État. Pas plus qu'il n'était prêt à courir le risque que cette action directe prenne une ampleur suffisante pour remporter une victoire contre le gouvernement. Pour le Parti travailliste, tout ce qui pouvait passer pour un succès dû à l'action collective, tout ce qui pouvait renforcer le moral de la classe ouvrière et l'encourager à se battre, devait être évité.

Le 21 mars dernier, Heseltine, le ministre de l'Environnement, annonçait finalement à la chambre des Communes la suppression de la poll tax en... 1993, ainsi qu'un ensemble de mesures visant à réduire la note à payer en attendant. Cela désamorça le problème de la poll tax. Le Parti travailliste célébra ce recul des conservateurs comme une victoire. Mais bien peu de gens pouvaient le ressentir de cette façon, surtout pas ceux qui, n'ayant pas payé, continuaient à être poursuivis devant les tribunaux par les conseils municipaux - y compris par ceux contrôlés par les travaillistes -, ou bien étaient l'objet d'une saisie sur salaire, quand ils n'avaient pas les huissiers chez eux.

Là encore, le Parti travailliste avait atteint son but : il avait réussi à faire que le problème reste dans le cadre parlementaire et que ceux qui s'étaient battus contre la poll tax soient privés d'une victoire nette ; il avait fait la preuve qu'il était un parti vertueusement respectueux des lois, et même plus, qu'il était également capable de les appliquer là où il en avait le pouvoir, c'est-à-dire dans les municipalités qu'il contrôlait.

Un programme électoral sans risque

Ce 21 mars, la campagne électorale du Parti travailliste battait déjà son plein. La crise du Golfe était alors terminée. L'élection partielle de Ribble Valley, le 7 mars, avait prouvé de façon saisissante que la guerre n'avait pas suffi à redresser la situation des conservateurs dans l'électorat. Le Parti travailliste était en train de regagner lentement mais régulièrement le terrain qu'il avait perdu dans les sondages au cours des mois écoulés.

L'annonce d'Heseltine concernant la poll tax donna le coup d'envoi d'une bataille de chiffres sur ce que son futur remplaçant coûterait aux contribuables. En y regardant de plus près, on se rendait compte que le Parti travailliste n'était pas même prêt à s'engager à supprimer la poll tax dès sa première année au gouvernement. Il s'engageait seulement à revenir à l'ancien système d'impôt local "dès que possible". Quant à une amnistie en faveur de ceux qui n'avaient pas payé la poll tax, il n'en était pas question.

Bientôt la question de la poll tax disparut purement et simplement et le Parti travailliste mit l'accent sur celle du financement des municipalités. Il se lança dans une attaque tous azimuts - et à juste raison - contre la façon dont les conservateurs avaient privé les municipalités de fonds, les contraignant ainsi à procéder à des réductions importantes aussi bien au niveau des services municipaux qu'au niveau des emplois. Les travaillistes promirent de mettre en place un système de financement entièrement nouveau. En quoi ce système consisterait, ils ne le dirent pas. Pas plus qu'ils ne prirent le moindre engagement quant aux milliers d'emplois qui étaient en cours de suppression dans bon nombre des grandes municipalités qu'ils contrôlaient.

Puis ils en vinrent à ce qui est encore aujourd'hui le principal thème de leur programme électoral : le service national de santé (NHS). De toute évidence le Parti travailliste cherchait à tirer parti de la loyauté traditionnelle envers le principe même du NHS qui existe dans toutes les couches de l'électorat, au point d'ailleurs que les conservateurs eux-mêmes prennent grand soin de présenter leurs propres réformes comme des améliorations apportées au NHS et non comme impliquant des choix différents des objectifs du NHS. Aux yeux d'une grande partie de l'électorat, y compris des électeurs conservateurs, le NHS est un terrain "respectable". Et c'est un terrain qui apparaît dépourvu de tout contenu de classe, un terrain "sans risque" en un mot.

Ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que les promesses du Parti travailliste soient allées plus loin en ce qui concerne le NHS que sur le reste.

La "solution" des conservateurs au manque de ressources chronique du NHS consiste à transformer hôpitaux et médecins en entités semi-autonomes fonctionnant sur la base du profit, en s'en remettant à la "compétition" pour réduire les frais de fonctionnement. Le refrain du Parti travailliste c'est le retour du NHS à son "état originel" et l'augmentation de ses ressources. Mais il ne prend aucun engagement pour ce qui est de mettre fin aux réductions constantes d'effectifs et aux économies de bouts de chandelles qui y ont lieu. Pas plus qu'il ne dit comment il compte rendre utile la bureaucratie de "managers" forte de 150.000 personnes qui a été embauchée au cours de la décennie écoulée, pendant qu'on supprimait des emplois d'infirmières, d'employés au nettoyage et d'ambulanciers.

Les promesses qu'ils ne font pas à la classe ouvrière...

Quant à ce qui compte vraiment pour la classe ouvrière, ce qui affecte ses conditions d'existence, le discours électoral des travaillistes y fait bien peu référence.

Pour l'essentiel, leur réponse aux questions que les travailleurs pourraient poser tient en ces mots prononcés par Kinnock à la télévision, un matin d'avril : "Il n'y a pas de réponse presse-bouton instantanée [...] Nous ne ferons pas de fausse promesse à la population de ce pays en disant qu'on peut tout avoir d'un seul coup".

Bien sûr, il est une promesse que le Parti travailliste met bien en valeur - une augmentation de cinq livres par semaine pour les retraités célibataires (soit 215 F par mois) et une augmentation similaire sur les allocations familiales -, promesse qui, malgré son indigence, pèse probablement lourd en terme électoraux aux yeux des travaillistes.

Quant au reste, le peu qui figurait au programme du Parti travailliste semble avoir fondu ces derniers temps. On y trouvait par exemple l'engagement d'instituer, dès la première année du futur gouvernement travailliste, un salaire minimum égal à "la moitié du revenu moyen masculin" (mais sans donner de chiffre plus précis). Ce calendrier a désormais disparu. De même qu'a disparu le calendrier de mise en application d'une autre promesse faite il y a quelques mois - celle de réduire la première tranche d'imposition sur le revenu de 25 à 20 %. A la place, le dernier manifeste électoral des travaillistes, "Une voie meilleure avec les travaillistes pour les années 90" souligne que "rectifier pleinement les effets des négligences des dix années passées prendra au moins le temps d'une législature". En d'autres termes, le calendrier travailliste semble s'étirer maintenant sur quatre ou cinq ans !

Concernant le chômage, qui dépasse maintenant en termes réels la barre des trois millions, les plans des travaillistes rendent un son familier à beaucoup de travailleurs européens : il s'agit de former les jeunes - évidemment ! - mais d'une façon différente des conservateurs. Différente en quoi, nul ne sait. En tout cas, les chômeurs plus âgés seront sans aucun doute ravis d'un tel plan...

Enfin, pour ce qui est de ce qui constituait l'une des cibles favorites des travaillistes, les lois anti-grève prises au fil des années par Thatcher, la direction travailliste a déclaré explicitement qu'on ne devait s'attendre à aucun changement. Elle se contentera d'inscrire dans la loi l'obligation de reconnaître les syndicats et de tenir des négociations collectives. En quoi cela améliorera la position actuelle des travailleurs alors que leur droit de grève est pratiquement réduit à rien, mystère !

Autrement dit, si l'on s'en tient à ce que promettent eux-mêmes les travaillistes, les travailleurs n'ont vraiment pas grand- chose à attendre d'un gouvernement travailliste.

Et celles qu'ils font aux patrons

Pour ce qui est des patrons, les choses sont bien différentes.

La ligne officielle est développée dans un texte adopté par le congrès d'octobre dernier : "Une industrie moderne nécessite une économie basée sur le partenariat. La Grande-Bretagne a besoin d'un partenariat entre les intérêts publics et privés, entre l'industrie et le gouvernement. Le secteur privé doit faire ce qu'il fait le mieux ; le secteur public aura à faire ce qu'il fait le mieux. Le monde des affaires doit intervenir là où c'est possible et le gouvernement là où c'est nécessaire. [...] Le Parti travailliste salue et prend en compte l'efficacité et le réalisme qu'apporte le marché [...] Le patronat et les syndicats sauront que si leurs coûts de production augmentent plus vite que ceux des autres pays européens, ils ne seront pas compétitifs dans le cadre du marché unique".Le dernier document sur l'économie qu'a publié le Parti travailliste porte un titre qui est un programme à lui seul : "Construire une économie de classe mondiale". Ce à quoi il s'engage, c'est en gros à satisfaire les plaintes répétées des principales organisations patronales quant à l'absence d'une politique d'investissement cohérente de la part de l'État, dans le secteur public comme dans le privé. Les travaillistes promettent donc d'utiliser une part plus importante des ressources de l'État pour investir, d'augmenter les avantages fiscaux pour les investisseurs, qu'il s'agisse d'individus ou de sociétés, et de créer une banque nationale d'investissement. En un mot il s'agit donc d'augmenter les subventions accordées par l'État aux capitalistes. Et comme il faudra bien que quelqu'un paie l'addition et qu'il n'est pas question de demander aux riches de le faire, aux travailleurs d'en tirer la conclusion - c'est à eux que l'on fera appel !

La dernière partie de ce programme en faveur du patronat, et la plus importante, concerne les salaires. On peut lire dans le même document : "Pour aider à faire face au problème de l'inflation, le Parti travailliste instituera des discussions régulières entre le gouvernement, les employeurs, les syndicats et d'autres, qui conduiront à la rédaction annuelle d'une évaluation économique nationale. Celle-ci indiquera clairement et honnêtement ce que l'économie peut se permettre en matière d'investissements, de dépenses publiques et de salaires". Parallèlement, le Congrès des syndicats (TUC) a publié un texte en mai 1991, intitulé "Vers l'an 2000" qui développe les mêmes idées.

Bien que la direction travailliste s'en défende, il s'agit d'un mécanisme de limitation "volontaire" des salaires, autrement dit de gel des salaires, du même type que celui accepté par les dirigeants syndicaux de 1974 à 1979 sous le dernier gouvernement travailliste. Sauf que, alors qu'en 1974 le TUC le négocia en échange d'une extension des droits syndicaux, aujourd'hui la bureaucratie syndicale offre sa collaboration par avance, sans demander quoi que ce soit en échange et en acceptant même que soit maintenue la législation du travail de Thatcher.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le Parti travailliste et les dirigeants syndicaux laissent peu de place aux illusions pour les travailleurs.

Le parti travailliste mis au pas

S'il est une chose que les dirigeants travaillistes et syndicaux ont appris à leur dépens dans le passé, en particulier dans les derniers temps du gouvernement travailliste, c'est que leur détermination à travailler la main dans la main avec le patronat n'a pas toujours suffi à leur permettre de garder le contrôle de leurs propres organisations, sans même parler de la classe ouvrière.

Alors cette fois-ci, ils s'efforcent de ne rien laisser au hasard. Pour ce qui est de la bureaucratie syndicale, les lois passées par Thatcher ont déjà fait le gros du travail. En imposant de coûteux votes par correspondance pour l'élection de nombre de responsables nationaux et même régionaux, elles ont réduit encore plus le contrôle direct des syndiqués sur les appareils syndicaux. De plus, le nombre de règles qui doivent être observées pour qu'une grève soit légale est tel qu'il devient pratiquement impossible aux syndiqués de recourir à la grève sauvage pour faire pression sur les bureaucrates, tout au moins pas sans courir le risque d'y perdre leur emploi.

Quant à la direction travailliste, elle a promulgué ses propres lois. Depuis le début de cette année, c'est la direction du parti qui contrôle directement tous les adhérents. Les sections locales ne peuvent plus recruter elles-mêmes sans en passer par la direction, ni percevoir les cotisations de leurs membres. Cela crée un mécanisme simple grâce auquel l'appareil peut se débarrasser de toute organisation locale "rebelle", en la privant d'argent ou en la noyant sous un flot de nouveaux adhérents "obéissants". Bien sûr, de telles méthodes ne sont pas précisément des nouveautés au Parti travailliste. Mais il devient si facile d'y recourir dans le cadre du règlement du parti que la liberté de manœuvre pour quiconque ne se conforme pas à la ligne officielle devient des plus minces.

C'est ce que l'on voit depuis un an, avec les mesures disciplinaires de grande ampleur prises dans tout le pays par la direction du parti contre des sections ou des adhérents individuels qui se sont exprimés contre la ligne officielle sur la poll tax ou ont essayé de remplacer des députés en place qui bénéficiaient de l'appui de la direction.

D'après le numéro de mars-avril de "Labour and Trade-Union Review", un organe de la gauche modérée opposée à Kinnock, "à ce jour, Kinnock a prononcé des mesures de suspension sous une forme ou une autre contre quelque 80 organisations de circonscription. Cela représente environ 12 % du parti".

Et ces mesures disciplinaires ne visent plus seulement désormais les groupes accusés d'être des tendances trotskystes opérant au sein du Parti travailliste. Ainsi, au cours des seuls trois derniers mois, de nombreux conseillers municipaux ont été suspendus pour avoir refusé de voter un budget municipal conforme à la loi (c'est-à-dire qu'ils ont refusé de voter pour des suppressions d'emplois) ou pour avoir appelé au refus de payer la poll tax. La plupart ne sont que de simples membres du parti dont le tort est d'être en désaccord avec la direction.

Ainsi, à Liverpool, neuf conseillers municipaux ont été suspendus tandis que 20 autres ont été exclus pour avoir constitué un groupe travailliste au sein du conseil municipal en opposition au groupe officiel. 13 conseillers ont été suspendus à Lambeth (sud de Londres), 7 autres à Bristol, ainsi que l'ensemble de l'organisation du parti à Brighton tandis qu'à St Helen's, 19 membres se sont vu interdire de se présenter aux élections municipales. Et ainsi de suite. La liste est déjà très longue et elle s'allonge de jour en jour.

Une chose est sûre. La direction travailliste a l'air décidée à ne ménager aucun effort pour empêcher quiconque occupant une position de responsabilité au sein du parti de s'en servir pour s'opposer à la ligne officielle. Cela peut conduire à une diminution des effectifs du parti, comme cela semble avoir été le cas ces derniers temps. Mais c'est un prix que Kinnock a l'air de trouver tout à fait acceptable. Et, après tout, qu'est-ce que ça peut bien faire à la direction travailliste ? A un moment où la lutte de classe est en recul, la direction travailliste n'a besoin que de son électorat et d'un appareil qui lui fournisse les politiciens dont elle a besoin. Mais qu'il y ait plus ou moins d'adhérents dans les sections du parti lui importe peu !

Des dangers contre lesquels la classe ouvrière doit être avertie

Comme le dit l'hebdomadaire des affaires The Economist, "qu'il s'agisse de la guerre du Golfe, de l'Europe ou des objectifs philosophiques plus élevés d'une société basée sur l'ouverture d'opportunités pour tous, messieurs Kinnock et Major usent de mots qui pourraient souvent être échangés sans que personne ne puisse le remarquer". Si c'est ce journal vétéran du conservatisme qui le dit, on peut bien le croire sur parole !

Bien sûr le Parti travailliste peut apparaître aux yeux de la bourgeoisie comme offrant l'avantage supplémentaire de disposer de moyens plus élaborés pour contrôler la classe ouvrière, grâce au contrôle qu'il exerce sur les syndicats. Mais, à un moment où la classe ouvrière britannique n'apparaît pas à la bourgeoisie comme un danger majeur, cette capacité de contrôler la classe ouvrière devient presque secondaire. Les dirigeants travaillistes ne peuvent espérer aucune concession en échange de leur poids sur la classe ouvrière. Ils se trouvent dans la même position que tout autre politicien bourgeois aspirant au pouvoir. C'est pourquoi ils se présentent comme un simple substitut aux conservateurs, au point même d'utiliser le même langage.

Contrairement à ce que certains voudraient, cela n'a rien à voir avec l'influence prétendument "maléfique" de Kinnock. Si le Parti travailliste veut retourner au pouvoir, et c'est sa principale raison d'être, il doit satisfaire aux exigences présentes de la bourgeoisie. Et c'est justement dans ce sens que Kinnock et les bureaucraties travaillistes et syndicales s'efforcent d'orienter leurs appareils, aujourd'hui, alors qu'ils sont encore dans l'opposition, et demain, si on leur en donne la moindre chance, au gouvernement.

La morale et les principes n'ont rien à voir là-dedans. Seules comptent les dures réalités de la guerre de classe qui gouverne la société. Ce sont des réalités qui ne peuvent pas être contournées, surtout pas en faisant le vœu pieu qu'il pourrait y avoir une chance, après tout, que le Parti travailliste se révèle être différent de ce que l'on peut voir aujourd'hui.

Les travailleurs peuvent bien n'avoir plus beaucoup d'illusions quant aux améliorations que le Parti travailliste peut leur apporter. Mais beaucoup d'entre eux ne s'attendent sûrement pas à ce que le Parti travailliste aggrave leur situation. Et pourtant, c'est bien ce qui risque de se produire si la crise s'aggrave. Ce que vise le Parti travailliste, on peut le voir dès aujourd'hui sous nos yeux. La classe ouvrière ne peut se permettre de ne pas être sur ses gardes. Les révolutionnaires ont une tâche qui leur incombe - le moins qu'ils puissent faire, c'est d'avertir la classe ouvrière de ce qui l'attend.