Les migrants, victimes de la misère, des guerres et de l’Europe capitaliste

juilet-août 2015

Leurs larmes de crocodile à peine séchées après les dernières tragédies en Méditerranée, au cours desquelles des centaines de femmes, d'hommes et d'enfants sont morts noyés, les dirigeants européens se renvoient les survivants les uns aux autres sans aucune pudeur.

Pour des raisons géographiques évidentes, l'écrasante majorité des 100 000 personnes qui ont tenté de rejoindre l'Europe au cours du premier semestre de cette année sont arrivées en Italie et en Grèce. Sollicités pour participer à leur accueil, les autres pays de l'Union européenne (UE), ce prétendu « espace de liberté, de sécurité et de justice », multiplient obstacles et procédures dilatoires. Quel symbole de liberté que ces migrants africains refoulés au poste frontière de Vintimille, où les contrôles de la Police des frontières ont été rétablis exclusivement à leur intention, c'est-à-dire au faciès ! Quel symbole de sécurité que ces camps de fortune constitués en quelques heures sur le no man's land qui sépare la France et l'Italie ! Quel symbole de justice donné par le ministre de l'Intérieur Cazeneuve, qui fait donner sa police en plein Paris pour chasser les réfugiés et ceux qui les aident à trouver des hébergements !

Alors qu'ils font la guerre au Moyen-Orient et en Afrique sous prétexte de combattre la barbarie, les dirigeants occidentaux ont du mal à justifier leur refus d'accueillir les réfugiés, notamment syriens, irakiens ou afghans. C'est pourquoi ils prétendent vouloir séparer les réfugiés politiques, qui fuient la guerre ou la terreur, des émigrés économiques, qui fuient le chômage et la misère. Valls et ses homologues européens somment le gouvernement italien de respecter les procédures de l'espace Schengen, en enregistrant systématiquement chaque migrant et en organisant de véritables camps de triage. Cazeneuve le martèle : les migrants économiques seront impitoyablement reconduits soit dans leur pays d'origine, soit dans le pays où ils ont pris pied, en l'occurrence l'Italie ou la Grèce.

Quant aux réfugiés politiques, malgré leurs déclarations hypocrites, les dirigeants européens n'en veulent pas davantage. Les réfugiés actuellement refoulés à Vintimille ou traqués à Paris viennent surtout du Sud-Soudan, où une guerre civile a déjà provoqué la mort de 50 000 personnes depuis deux ans, ou d'Érythrée, où ils fuient une dictature féroce. Valls et Hollande tergiversent sans honte pour accueillir moins de 9 000 personnes, un nombre infime, attribuées à la France par Jean-Claude Junker, président de la Commission européenne, chargé de répartir 24 000 migrants identifiés comme réfugiés politiques potentiels. Comme si l'accueil de 100, 200 ou 300 000 personnes par an, quel que soit le motif de leur arrivée dans l'Europe riche et développée, un espace de 500 millions d'habitants, posait un problème insurmontable.

Chassés par la guerre ou par la misère, un sort commun

Si tant est qu'il puisse être mis en œuvre, un tel tri est inique. Les puissances impérialistes sont directement responsables, par leurs interventions militaires et leurs manœuvres politiques, de l'émergence des bandes armées - islamistes ou pas - qui font régner la barbarie sur le Moyen-Orient et sur des régions de plus en plus vastes de l'Afrique. Mais elles sont tout autant responsables de la misère qui pousse des milliers de Sénégalais, Gambiens, Nigérians, Camerounais, Maliens ou Ivoiriens sur les routes de l'exode. Le milliardaire français Bolloré, pour ne citer que lui, a pris le contrôle des installations portuaires et de toute la chaîne de transport dans des dizaines de pays africains. Il rachète les terres des petits paysans pour étendre ses plantations de palmiers à huile. L'industrie agroalimentaire et les bateaux-usines de l'UE ruinent les petits producteurs et les petits pêcheurs africains. Comme des générations de paysans et d'artisans depuis les débuts de la révolution industrielle, ces prolétaires africains n'ont d'autre choix pour faire vivre leur famille que d'aller tenter leur chance dans les grandes villes ou, pour une toute petite fraction d'entre eux, dans les métropoles impérialistes.

C'est inexorable. Tous les drones et autres moyens technologiques de l'agence européenne Frontex, toutes les barrières électrifiées construites autour de la forteresse Europe n'y changeront rien. Comme l'ont dit des migrants à une ONG : « Vous nous prenez nos empreintes digitales, on se brûle les doigts. Si vous prenez les empreintes de nos paumes, nous nous brûlerons les mains. Si vous prenez l'image de nos iris, nous nous crèverons les yeux pour atteindre la liberté ». Les barrières administratives ou physiques n'auront qu'un seul effet : faire prendre des risques toujours plus grands aux candidats à l'émigration et enrichir des passeurs sans scrupule qui augmenteront le prix du passage.

Les prolétaires n'ont pas de patrie

Tout le prolétariat s'est constitué ainsi, migrant au gré des cycles économiques vers les zones industrielles pour vendre sa force de travail. Le capitalisme a transformé la planète en une seule et unique entité économique, au sein de laquelle tous les pays sont interdépendants et tous les travailleurs liés entre eux. Ce constat faisait déjà écrire à Marx et Engels, dès 1848, dans le Manifeste communiste : « Les prolétaires n'ont pas de patrie ».

C'est pourquoi les travailleurs conscients doivent exiger le droit à la libre circulation pour tous. C'est-à-dire le droit pour chacun de se déplacer, de s'installer, de travailler, de s'organiser, de voter, sans aucune restriction, sans carte de séjour ni visa, dans le lieu où il le souhaite.

Tous les riches de la planète disposent de ce droit, eux qui passent le réveillon à New-York avant d'aller faire du shopping à Londres ou un safari en Afrique. Avec le bon passeport et de l'argent, les frontières sont virtuelles. À chaque catastrophe naturelle, à chaque crise politique, le gouvernement met en œuvre ses ambassades et déploie des hélicoptères pour récupérer des Français « expatriés » - on ne dit pas « émigrés » - en Haïti, au Népal ou au Mali. Les seuls qu'on refoule ou qu'on enferme dans l'un des multiples camps de rétention, ce sont les derniers arrivés parmi les prolétaires.

Cette politique répressive en vigueur dans toute l'Europe n'a d'autre but que de camoufler l'incapacité des dirigeants politiques bourgeois à enrayer le chômage et la crise économique et de détourner l'attention des classes populaires vers des boucs émissaires, en créant de toutes pièces un prétendu « problème de l'immigration ». Si l'extrême droite en a fait son fonds de commerce, tous les autres partis lui emboîtent le pas. Il est significatif que le PS au pouvoir tienne à démontrer sa fermeté sur la question de l'immigration, de crainte d'être taxé d'angélisme par ses adversaires, préférant heurter durablement la fraction la plus humaniste de son électorat.

Les travailleurs conscients doivent combattre tous les démagogues qui prétendent les protéger de la « misère du monde » en fermant les frontières, en prétendant opposer le protectionnisme et le patriotisme économique à la mondialisation capitaliste et finalement en semant la division entre eux. Qu'ils soient maçons polonais ou portugais détachés sur le chantier de l'EPR à Flamanville, soudeurs roumains ou ukrainiens sur les chantiers de Saint-Nazaire, intérimaires de multiples nationalités sur les chaînes de montage des usines automobiles, saisonniers camerounais ou marocains trimant sur les champs d'Andalousie, du sud de l'Italie ou des Bouches-du-Rhône, ces travailleurs ont les mêmes exploiteurs, les mêmes adversaires mais aussi les mêmes intérêts que tous ceux qui ont le « bon » passeport et la « bonne » nationalité. Et ils ont le même avenir : celui de combattre ensemble la dictature du capital qui entraîne la planète dans le chaos.

La seule façon d'échapper au chômage, à la misère et à la guerre, en Afrique comme en Europe, c'est que les travailleurs prennent le pouvoir, c'est-à-dire qu'ils exproprient les grands groupes capitalistes et réorganisent les moyens de production, à l'échelle de toute la planète, en vue de satisfaire les besoins de tous les êtres humains.[[ Lire sur le sujet l'article « Immigration : les murs de la honte de l'Europe capitaliste », Lutte de Classe n° 155, novembre 2013, et la brochure du Cercle Léon Trotsky n° 135 du 24 janvier 2014 : L'immigration dans l'Europe en crise.]]

16 juin 2015