Extraits du meeting de Nathalie Arthaud à Lyon (Vénissieux, 18 avril 2012)

mai 2012

Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,

La description que vient de donner mon camarade de la situation des travailleurs de la région est éloquente. Bien qu'elle soit une des régions les plus riches et les plus industrialisées, la liste des entreprises qui ferment ou qui se débarrassent d'une partie de leurs effectifs s'allonge, et le chômage s'aggrave.

Et, même dans cette région industrialisée, chaque travailleur licencié sait qu'il a de moins en moins de chances de retrouver un travail à brève échéance, ou alors il ne trouvera qu'un emploi précaire et mal payé. Chacun sait aussi qu'à partir d'un certain âge, lorsqu'on est rejeté par une entreprise, on n'a pratiquement plus aucune chance de retrouver un emploi correct.

Nous savons aussi tous, même ceux qui conservent encore leur emploi, à quel point le chômage pèse sur tout le monde. Il faut être bien inconscient pour ne pas savoir, pour ne pas ressentir que nous sommes tous des licenciés en puissance et que rien ne nous en protégera, ni un bon métier, ni un statut, et encore moins l'ancienneté dans une entreprise.

Un bon métier ne protège que tant qu'une entreprise capitaliste pense qu'elle peut faire du profit sur votre dos.

Quant aux statuts, des cheminots au personnel hospitalier en passant par les postiers ou les enseignants, nous savons tous qu'ils sont en train d'être démolis par la multiplication de ceux qui travaillent sous contrat privé, voire sans contrat du tout : auxiliaires, vacataires, intérimaires ou stagiaires.

Et l'ancienneté au travail ne protège pas plus : combien de travailleuses ou de travailleurs ont vécu l'expérience douloureuse d'avoir été jetés dehors malgré vingt, trente ans passés dans la même entreprise ?

Le patronat se sert du chômage, de la crainte qu'il suscite, pour aggraver les conditions de travail et d'existence de ceux qui sont en activité. C'est en s'appuyant sur le chômage des uns que les patrons imposent aux autres des salaires trop bas, la flexibilité, un rythme de travail toujours plus dingue, l'autoritarisme des petits chefs qui, eux aussi, craignent d'être jetés.

Eh bien, cette situation continuera et s'aggravera au lendemain de l'élection présidentielle. Je ne dis pas cela par pessimisme, mais parce qu'il est important pour le monde du travail d'être lucide, de voir la réalité en face et de comprendre la politique du grand patronat pour pouvoir le combattre efficacement !

[...]

Des journalistes me font souvent le reproche stupide de considérer tous les patrons uniformément comme mauvais. Comme si le rapport entre la classe capitaliste et les travailleurs était une question morale ! Comme si l'exploitation était une question de dureté ou de gentillesse.

Je ne me pose pas la question de savoir si le père, la mère ou les fils Peugeot sont bons ou mauvais. Je ne me pose pas la question de savoir si messieurs Arnault, Bolloré, Lagardère ou Dassault, si tous les gros actionnaires qui vivent des dividendes de l'exploitation sont gentils ou méchants. Qu'ils soient humains, sensibles dans leur famille, vis-à-vis de leurs amis et caressants pour leur chien ou leur chat, ne m'intéresse pas !

Ce n'est pas une question de morale ni de psychologie, c'est une question d'organisation sociale.

Dans le cadre de cette économie capitaliste, l'argent, les capitaux donnent aux propriétaires, aux gros actionnaires des entreprises un pouvoir sur la vie et sur les conditions d'existence de centaines, de milliers de femmes et d'hommes, leurs salariés. C'est leur situation sociale qui fait que leurs intérêts sont diamétralement opposés à ceux de leurs salariés. Et les lois de l'économie capitaliste, la concurrence les poussent à la course au profit.

Les lois de l'exploitation sont ainsi : moins les patrons paient de salaires, plus leurs entreprises font de profits. Plus leurs salariés sont malléables, plus ils acceptent des cadences insupportables, plus l'entreprise fait des profits et plus les actionnaires touchent de dividendes. C'est cette réalité-là que couvre le mot « compétitivité ».

Et cela quel que soit l'état général de l'économie et même en période de croissance économique il y a toujours, tout le temps, un choc entre des intérêts contradictoires entre l'exploiteur capitaliste et ses salariés exploités, une lutte de classes.

Que la lutte soit perceptible ou invisible, virulente ou entourée d'hypocrisie, la classe capitaliste la mène en toutes circonstances. Dans une économie basée sur l'exploitation, il ne peut pas en être autrement.

Mais la crise exacerbe l'exploitation. Car une crise économique, cela signifie que le marché ne s'élargit pas assez rapidement, que la quantité de marchandises vendues, des automobiles jusqu'aux boîtes de petits pois, ne s'accroît pas à un rythme suffisant pour que les capitaux rapportent 5, 10, 15 % de plus que l'année précédente.

Le profit que le marché n'est plus capable de leur rapporter, la classe capitaliste cherche à le prélever sur ses salariés.

Dans cette jungle qu'est l'économie capitaliste, la crise pousse les plus gros à écraser plus encore les plus petits, les grandes multinationales doivent écraser plus les PME, leurs sous-traitants ou leurs fournisseurs. Les banques étranglent plus encore tous ceux qui ont besoin de leurs services.

Les grandes chaînes capitalistes de la distribution écrasent les paysans producteurs de légumes, de fruits ou de viande et le feront d'autant plus avec la crise, car les uns comme les autres cherchent à rejeter leur manque à gagner sur ceux qui sont en bas de l'échelle, les salariés qui, pourtant, fabriquent tout, transportent tout.

La crise aggrave, exacerbe les inégalités et l'exploitation.

Je le répète : il n'est pas question de morale dans toute cette histoire. Il n'y a que de froids rapports d'argent car, dans cette société capitaliste, il n'y a que cela qui compte.

C'est révoltant, mais c'est ainsi tant que perdure l'organisation capitaliste de l'économie. Tant que dure la mainmise d'une classe privilégiée sur les entreprises et sur l'économie, il faut savoir que les travailleurs ne peuvent défendre leur peau qu'en opposant à la classe capitaliste leurs propres intérêts.

[...]

Les élections ne peuvent pas changer le sort des travailleurs, ce sont les luttes collectives qui le peuvent. Mais les élections peuvent servir à s'exprimer.

Les travailleurs qui ne sont pas dupes des alternances électorales et qui n'attendent rien des élections n'ont aucune raison de se taire dans cette campagne.

On peut, dans les élections, exprimer sa révolte. On peut dire nos revendications, les populariser. On peut dire, en votant pour ma candidature, qu'on se prépare à se défendre et à se battre pour les imposer.

Se taire, c'est faire plaisir à son patron - comme nous l'a rappelé dernièrement un courrier que l'entreprise Renault nous a adressé et dont je vais vous lire les grandes lignes :

« Nous avons constaté le 3 avril dernier la distribution de tracts politiques en faveur de Lutte Ouvrière au sein de l'établissement Renault Guyancourt.

Cette recrudescence qui s'inscrit dans le cadre de la campagne présidentielle n'est pas acceptable.
Nous vous rappelons que vous, ni quiconque, n'êtes autorisée à distribuer des tracts de nature politique, ce qui est contraire à l'article L.2131-1 du code du travail, au sein de l'enceinte de l'établissement de Renault Guyancourt, conformément aux dispositions du règlement intérieur de l'établissement. Ces dispositions sont applicables à tout salarié Renault ainsi qu'à toute personne pénétrant au sein de l'enceinte de l'établissement.
Toute diffusion ou affichage dans l'établissement de journaux, tracts, imprimés, brochures... est soumise à l'autorisation préalable de la direction. »
Eh bien oui, nous vivons en démocratie, mais elle s'arrête aux murs de l'entreprise. Là, il n'y a plus de liberté de presse, en tout cas pas pour les travailleurs ! Pas le droit de faire de la politique même en pleine campagne électorale.

Malgré cette dictature à l'intérieur des entreprises, les travailleurs conscients ont toujours su se donner les moyens de s'exprimer, et ils continueront à le faire !

Que ce soit en période électorale ou en dehors, nous continuerons de défendre notre politique, un programme de lutte. Nous continuerons de la défendre dans les usines, dans les bureaux, par des feuilles volantes, par des bulletins d'entreprise.

Nous la défendons par les faibles moyens d'expression que nous laisse la démocratie bourgeoise et qui pèsent peu au regard de ceux qui ont de l'argent, les maîtres de l'économie, et qui peuvent se payer un quotidien comme Dassault avec le Figaro, ou les Rothschild avec Libération ou se payer toute une chaîne de télévision ou de radio comme les Bouygues ou Lagardère.

On peut suppléer à cela par le dévouement militant et nous le faisons toute l'année.

Mais aujourd'hui, la campagne électorale nous donne une possibilité supplémentaire de nous exprimer. Au premier tour on a les moyens de s'exprimer, au plus près de son opinion. Il ne faut pas laisser passer cette occasion !

Il n'y a aucune raison de garder son poing dans la poche quand on a la possibilité d'exprimer une colère consciente et de lever dans l'élection, au premier tour, le drapeau des luttes.

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Nous avons dit et répété tout au long de la campagne électorale que les travailleurs n'ont rien à attendre dans cette élection présidentielle et qu'il ne faut surtout pas qu'ils espèrent être protégés un tant soit peu par le futur occupant de l'Élysée.

À quatre jours du premier tour de l'élection, il semble évident que les deux candidats qui seront au deuxième tour, et entre qui se décidera quel sera le prochain président de la République, sont Sarkozy et Hollande.

Pour ce qui est de Sarkozy, les travailleurs et les exploités en ont déjà fait le tour. C'est un ennemi ouvert de la classe ouvrière, et il l'a montré par toutes ses mesures, par toute sa politique, et je dirais même par toute sa personnalité.

Même si, aujourd'hui, il a le culot de se poser en protecteur des Français - comme il dit - face à la crise, les seuls Français qu'il a protégés, ce sont Dassault, Bettencourt et quelques autres, auxquels il est politiquement, humainement, personnellement, lié.

Ce n'est pas pour rien que la plupart des travailleurs souhaitent qu'il débarrasse le plancher.

Mais, en même temps, il n'y a rien à attendre non plus de Hollande. Pas seulement parce qu'il ne promet rien, car ces gens-là, même quand ils promettent, on ne peut pas leur faire confiance. Mais parce que tous ceux qui sont passés par les filtres des institutions bourgeoises ont été formés, dressés, pour servir la grande bourgeoisie, la classe privilégiée et dominante.

On me reproche souvent de dire qu'au gouvernement il y aura bien peu de différences entre Hollande et Sarkozy, et qu'en ce qui concerne les revendications vitales des travailleurs, l'emploi, les salaires et les retraites, il n'y en aura pas. Mais les anciens ministres de Sarkozy et même le clan Chirac qui se prononcent en faveur de Hollande ne disent pas autre chose. S'ils peuvent comme cela passer de l'un à l'autre sans état d'âme, c'est qu'il voient eux-mêmes bien peu de différences.

Si les dirigeants socialistes reviennent au pouvoir, qu'est-ce qu'ils feront ? Est-ce qu'ils empêcheront le patronat de licencier, de fermer des entreprises ? Est-ce qu'ils l'obligeront à augmenter les salaires ? S'il est élu, est-ce que Hollande forcera le patronat à embaucher ?

Non, il ne le fera pas !

Oh, je ne dis pas que Sarkozy et Hollande sont pareils, contrairement à la caricature si habituelle des journalistes. Leur base électorale n'étant pas la même, Hollande cherchera à plaire un peu plus à l'électorat de gauche. Il prendra peut-être quelques mesures que Sarkozy est trop réactionnaire pour prendre.

Les socialistes au pouvoir prendront peut-être quelques mesures sociétales, comme Mitterrand en avait pris en supprimant la peine de mort. Hollande autorisera peut-être le mariage des homosexuels ou accordera le droit de mourir dans la dignité. Mais il ne prendra aucune mesure qui puisse coûter à la classe capitaliste ou qui puisse léser son pouvoir absolu sur les entreprises.

Or, toutes les mesures qui pourraient préserver les conditions d'existence de la classe ouvrière coûteraient forcément à la classe capitaliste.

Il fut des périodes dans le passé où, parce que ses affaires allaient bien, la bourgeoisie consentait aux dirigeants politiques de gauche le droit de prendre quelques mesures d'amélioration. Mais, par ces temps de crise, il n'en est plus question.

Si futur gouvernement socialiste il y a, il fera ce que la finance imposera. Si Hollande est élu, les coups, au lieu de venir de la droite, viendront de la gauche.

Alors, si les travailleurs ont toutes les raisons d'exécrer Sarkozy, ils n'en ont aucune de faire confiance à Hollande.
Et j'ajouterai que la présence de Mélenchon, son langage plus radical et ses talents de tribun, ne changeront rien au rapport de forces qui commande les relations sociales. Oh, l'électorat de Mélenchon regroupe ceux qui n'ont pas d'illusions en Hollande et qui veulent marquer leur méfiance en votant pour Mélenchon ! Mais la seule perspective qu'offre celui-ci, derrière des expressions qui résonnent d'autant mieux qu'elles sont creuses, c'est de gouverner avec Hollande.

Pour les exploités, ce serait une illusion de mettre leur espoir dans un « bon » gouvernement de gauche, que Hollande soit flanqué de Mélenchon ou pas, ou que ce soit l'inverse.

Ce n'est pas d'illusions que les travailleurs ont besoin. Les illusions, c'est toujours une faiblesse pour les travailleurs, cela retarde la prise de conscience, cela ne prépare pas à la nécessité d'affronter la classe bourgeoise avec les armes de classe des travailleurs.

Non, il ne peut pas y avoir un « bon » gouvernement de gauche en cette période de crise ! La bourgeoisie ne laissera de place qu'à un gouvernement de combat contre la classe ouvrière. Il suffit de voir et de comprendre ce qui vient de se passer dans la Grèce de Papandréou ou dans l'Espagne de Zapatero. Le capital financier n'a laissé aucune échappatoire, aucune marge de manœuvre à ces gouvernements de gauche.

Il n'en laissera pas plus en France.

Nul doute que si la crise s'aggrave, que le gouvernement soit de droite ou de gauche, il imposera aux travailleurs les mêmes sacrifices imposés aux travailleurs grecs et espagnols aujourd'hui, les amputations de salaire et de retraite, la démolition des services publics et le chômage forcé.

Regardons, par exemple, avec quel zèle Hollande rivalise avec Sarkozy pour insister sur la nécessité de rembourser la dette de l'État.

J'ai dit bien souvent durant la campagne que cette dette ne concerne en rien les travailleurs, car aucune catégorie de travailleurs, pas même les chômeurs, les retraités ou les plus pauvres, n'en a profité. Et elle doit être payée par ceux qui en ont tiré profit : les banquiers et les grands groupes industriels.

Le remboursement de cette dette demandé à toute la population, c'est un racket - il n'y a pas d'autre mot -, c'est un racket que tous les grands partis qui gouvernent ont accepté et justifient ! Pour les banquiers, ce n'est même pas le remboursement du principal de la dette qui est vraiment important.

Le plus important pour eux ce sont les intérêts que cette dette leur permet de prélever. C'est au nom de la dette que les banques imposent à tous les États endettés - et ils sont tous endettés - de payer des intérêts croissants. 50 milliards pour ce qui est de l'État français, le premier poste budgétaire ! C'est 50 milliards qui tombent de façon sûre et certaine chaque année ! Pourquoi les banques se priveraient-elles ?

C'est cette dette qui a servi de justification à Sarkozy pour prendre des mesures d'austérité, pour économiser au détriment des services publics, pour supprimer des emplois d'enseignants, de cheminots, d'agents hospitaliers. C'est la dette qui sert de justification pour diminuer les remboursements de la Sécurité sociale, pour rendre les soins de plus en plus chers et pour en écarter une fraction croissante de la population. Et demain, le même refrain continuera, quel que soit l'élu.

Derrière la question de la dette, il y a la volonté de la classe capitaliste d'obliger l'État à consacrer une part croissante de son budget à maintenir les revenus de la bourgeoisie. Et si la dette est remboursée, la bourgeoisie trouvera autre chose pour que le gouvernement continue à imposer des sacrifices à la population.

Je ne suis pas madame Soleil pour me lancer dans les prévisions mais, maintenant que les mesures d'austérité qui démolissent la consommation populaire menacent d'aggraver encore plus la situation du marché, de plus en plus de voix s'élèvent même dans les milieux de la bourgeoisie pour demander la relance de la croissance : « Plus le climat économique devient difficile, plus les chantres de l'austérité sont isolés » - se réjouit un quotidien qui n'est pourtant pas édité par les altermondialistes puisqu'il s'agit du journal financier britannique, le très conservateur Financial Times.

Pour ajouter : « L'Europe parle depuis trop longtemps de croissance, en n'en faisant pas assez. » Et vous verrez que le prochain gouvernement invoquera la croissance pour demander aux travailleurs de nouveaux sacrifices. Tous les commentateurs relèvent déjà la convergence entre Sarkozy et Hollande, pour réclamer une politique d'argent plus facile pour les entreprises, quitte à ce que cet argent déversé en direction des entreprises se traduise par une accélération de l'inflation.

Ce qu'ils appellent « croissance » en sera une pour les revenus de la classe possédante, mais pas pour les travailleurs car, pour les travailleurs l'inflation c'est avant tout la hausse des prix. Eh bien ce sera une autre façon de voler les salariés, d'affaiblir leur pouvoir d'achat. Il faut que les travailleurs prévoient cette éventualité et ne soient pas dupes des mots employés par les uns ou par les autres pour nous imposer de nouveaux sacrifices.