Intégrismes religieux et réaction sociale

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10 novembre 1995

Et si nous parlons tant de ce "hidjab", ce n'est pas spécialement pour dénoncer la religion musulmane, car pour nous les religions sont aussi nocives les unes que les autres ; c'est parce que ce qui se passe en Algérie nous touche de près, parce que le sort des femmes et des hommes de ce pays nous tient à coeur particulièrement, ne serait-ce qu'en raison de la responsabilité particulière de l'Etat français dans son histoire.

La menace mortelle que peut représenter l'arrivée au pouvoir des partis qui se placent sous le drapeau de la réaction religieuse, l'exemple de l'Iran l'a bien montré, il y a quinze ans.

Dès la prise du pouvoir par Khomeiny, porté par un mouvement de masse qui venait de renverser un très vieil empire, obligation fut faite aux femmes de ne paraître en public que revêtues du "tchador". Les femmes de la petite bourgeoisie des villes d'Iran, qui étaient pourtant alors fières de leur modernité mais qui s'étaient volontairement affublées ainsi, à l'appel de Khomeiny, lors des manifestations de masse contre le Chah, furent cruellement victimes de leur aveuglement.

Dès la prise du pouvoir par les religieux khomeynistes, des dizaines de prostituées furent brûlées vives. On a exécuté ou lapidé des centaines de femmes pour adultère. Les "milices des moeurs" que le régime a mises en place traquent les visages féminins qui porteraient du maquillage, elles emploient alors l'eau de javel, le rasoir ou le vitriol. La Revue politique et parlementaire rapporte par exemple qu'"On a vu... des tchadors cloués sur les visages avec des punaises".

En Algérie, la condition des femmes s'est dégradée dès le début des années 80, comme l'a montré le Code de la famille imposé par le gouvernement en 1984, qui fait de la femme mariée une mineure à vie, sous la tutelle de l'homme de la maison, qui autorise la polygamie et instaure l'inégalité de le femme face au divorce ou à l'héritage.

Toutes ces femmes qui résistent au risque de leur vie en Algérie savent quel degré de violence la misogynie religieuse peut atteindre. Mais il n'y a pas que la misogynie dans la volonté terroriste manifestée spécialement contre les femmes : il y a un objectif politique. Les islamistes veulent s'emparer du pouvoir et s'y installer. Dans une société en proie à une crise explosive, pour s'assurer des troupes dans la jeunesse populaire, s'assurer le contrôle des masses pauvres, ils cherchent à exploiter tout ce que le vieux fatras de la religion leur offre : dans cette stratégie, c'est le rôle du bouc-émissaire qui est assigné aux femmes dans leur ensemble. S'il y a du chômage, ce serait parce que des femmes, au lieu de se consacrer totalement à leur mari, prennent leur place au travail. S'il y a la corruption, ce serait parce qu'il n'y a plus de respect pour la morale coranique.

Et puis, promettre à des hommes déboussolés, désespérés, la soumission de leurs femmes, au besoin imposée par la terreur, c'est aussi sans doute offrir, au moins à une partie d'entre eux, un exutoire à leurs frustrations et à leur insatisfaction.

Au Bangladesh, Taslima Nasreen, médecin et écrivain menacée de mort par les dirigeants de son pays pour "outrage aux sentiments religieux des citoyens", a décrit avec force la manière dont le mépris des religieux pour les femmes a instillé dans toute la société une extraordinaire violence quotidienne des hommes à leur encontre. Et ce ne sont pas des survivances en voie de disparition qu'elle décrit : les choses empirent, sur ce plan.

Comme elles empirent en Arabie saoudite, où la police religieuse est omniprésente, traquant les moindres occasions de mixité sociale : les femmes qui travaillent sont dans des salles séparées ; quand les étudiantes doivent entendre le cours d'un professeur homme, cela passe par un circuit intérieur de télévision ; dans les autobus les femmes doivent se placer sur la plate-forme arrière... Elles sont encore plus reléguées qu'en Iran, quasiment invisibles socialement.