Le texte ci-dessous est celui d'une intervention télévisée d'Arlette Laguiller en 1995 concernant le chômage. Huit ans se sont écoulés depuis, mais les revendications n'ont rien perdu de leur actualité. Bien au contraire !
"Le chômage, les emplois précaires, l'absence d'avenir pour les jeunes, toutes situations qui touchent, non seulement 3 millions quatre cent mille chômeurs, mais au total près de 5 millions de personnes, tout cela représente un drame jamais vu dans ce pays, une véritable catastrophe nationale. D'autant que cela a des répercussions dans de nombreux domaines. Et quoi qu'on en dise, cette situation ne va pas s'améliorer.
Même si ce qui semble se passer depuis deux mois continuait, le chômage ne diminuerait que de 100 000 personnes par an. Il faudrait 35 ans pour le supprimer entièrement.
Même les promesses les plus électoralistes, les plans soi-disant les plus audacieux des grands candidats n'envisagent de supprimer que 200 000 chômeurs par an, y compris le programme de Jospin, car la réduction à 37 heures de la semaine de travail n'amènerait que 400 000 emplois supplémentaires en deux ans. Même si l'on multipliait leurs promesses par trois, et à condition qu'ils tiennent parole, il faudrait six ou dix ans pour donner du travail aux chômeurs et aux jeunes.
N'y a-t-il pas là de quoi être indigné ?
Car les chômeurs, les exclus de cette société de rapine, les jeunes, ne peuvent attendre ni 15 ans, ni 5 ans, ni même 2 ans, car les chômeurs sont menacés, à court terme, de la misère et de l'exclusion, et les exclus sont menacés de la déchéance physique et morale à bien plus brève échéance encore.
Face à cela, les scandales ont jeté un rai de lumière encore bien trop faible sur la vie et le luxe de certains hauts personnages de l'Etat et de certains grands patrons qui parfois sont les mêmes, car ils passent de ministre à PDG ou, quoique plus rarement, de PDG à ministre. Certains, on a pu le voir, touchent des salaires avec lesquels on pourrait faire vivre quarante à deux cents smicards ou le double de RMIstes.
Des ministres, des maires de grandes villes sont accusés d'utilisation frauduleuse des fonds publics. On voit des patrons de multinationales être menacés des tribunaux, comme le PDG d'Alcatel-Alsthom qui est soupçonné d'avoir surfacturé des centraux téléphoniques à l'Etat pour, peut-être, un milliard de francs. Surfacturation peut-être permise par quelques pots-de-vin distribués aux bons endroits.
Eh bien, pour lutter d'urgence contre le chômage et l'exclusion il faut éclairer, mais éclairer largement, tout ce qui se passe dans les finances des grandes entreprises et dans les sommets de l'Etat.
Il faut pouvoir prendre l'argent là où il est. Pour cela, il faut rendre publiques les comptabilités de toutes les grandes entreprises.
Il faut que la presse, y compris la presse syndicale, ait la liberté de publier leurs comptes, afin que tout le monde puisse savoir quelle est la part des profits, celle des salaires, ce qui est payé et à qui.
Que la presse puisse publier les déclarations d'impôts de tous les hommes politiques qui nous gouvernent, mais aussi sans être poursuivie comme l'est le Canard enchaîné celles de grands patrons qui peuvent décider de fermer une entreprise comme on claque la porte de son réfrigérateur et ruiner du même coup une ville, ou une région tout entière.
Il faut savoir où va l'argent quand ils spéculent au lieu d'investir et, quand ils achètent des entreprises ici ou à l'étranger, que l'on sache pour quoi faire et comment ils vont les utiliser.
Il faut qu'ils soient responsables devant le pays. Prenez l'exemple du Crédit Lyonnais : parce qu'un PDG a agi de façon irresponsable, suivant les dires de son successeur, c'est plusieurs milliers d'employés du Crédit Lyonnais qui risquent de perdre leur emploi ou plusieurs milliers de jeunes qui auraient pu être embauchés et qui ne le seront pas. Même si ce PDG est condamné, est-ce que cela rendra un emploi à ceux qui vont le perdre ?
Oui, il faut rendre tous les comptes publics, tous les comptes en banque, tous les avoirs et les patrimoines de tous ces gens-là.
De l'inquisition cela ? Une atteinte à la liberté ?
Mais un patron n'a qu'à s'adresser au service du personnel pour savoir ce que gagne n'importe lequel de ses salariés, des manoeuvres aux cadres.
Mais lui, quand on publie sa feuille d'impôt, ce serait une atteinte à sa vie privée ?
Les licencieurs, eux, portent atteinte à la vie privée de milliers, voire de dizaines de milliers de travailleurs qu'ils ont eu la liberté de jeter à la rue.
Aujourd'hui il faut que cela change, d'urgence !
Et il faut aussi réquisitionner sans indemnité ni rachat, toutes les grandes entreprises qui osent licencier alors qu'elles font d'énormes bénéfices."
(Texte d'une intervention télévisée d'Arlette Laguiller - 1995)