Le tournant de 1973

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24 avril 1998

Ainsi, d'un système monétaire mondial dans lequel les Etats, ou du moins ceux des pays les plus riches, garantissaient un minimum de stabilité aux échanges internationaux en maintenant des taux de change à peu près fixes, on passait à une autre situation : désormais ce serait le marché, et seulement lui, qui déciderait de ces taux. La tentative d'organiser les changes, née dans l'après-guerre, cédait devant la pression des marchés spéculatifs.

La crise dans le domaine monétaire reflétait d'ailleurs un problème plus vaste. On touchait à la fin de la période d'expansion que l'économie capitaliste avait connue après la seconde guerre mondiale. Le profit n'était plus assuré aussi facilement qu'auparavant par une économie en expansion. Les grandes sociétés capitalistes cherchèrent donc le moyen de redresser le taux de profit.

Cela se fit sentir par exemple dans le domaine des matières premières. Des vagues spéculatives se déclenchèrent, les producteurs cherchant à faire monter les prix. Ce fut le cas notamment des compagnies pétrolières, qui choisirent, cette année-là, d'imposer un prix plus élevé de cette matière. Il s'agissait d'assurer quoi qu'il arrive la rentabilité de leurs capitaux.

Cette année 1973 marquait ainsi un tournant. La crise monétaire, la spéculation internationale, allaient précipiter l'économie dans la crise, dans une situation de stagnation ou de croissance lente marquée notamment par l'extension du chômage, une situation dont l'économie capitaliste n'est toujours pas sortie aujourd'hui.

Les Etats allaient, dans un premier temps, tenter de relancer la machine par la création monétaire, par l'inflation. Quant aux grandes institutions financières internationales, elles agirent dans le même sens, en recyclant en prêts et en crédits des capitaux qui ne trouvaient pas de champs d'investissement assez profitables dans la production. Mais ces remèdes, utilisés pour sauver les profits capitalistes du mal causé par la stagnation de la production, ont fini par engendrer un autre mal, à longue échéance plus grave.

A la recherche des moyens de garantir leurs profits, les capitaux allaient se tourner de plus en plus vers des activités de type financier, sans aucune retombée positive du point de vue du développement économique. Un capital financier au caractère de plus en plus parasitaire imposait sa loi aux Etats, prélevait une dîme croissante sur l'économie, pesait sur celle-ci en l'enfonçant dans l'instabilité et la stagnation : ainsi peut être résumé le tournant vers la crise que l'on date de 1973, mais qui commençait à se dessiner bien avant.

Du point de vue monétaire, le passage à une situation de changes "flottants" n'avait pas les mêmes conséquences dans les différents pays. Si par exemple le flottement du dollar pouvait avoir des conséquences gênantes pour le commerce extérieur des Etats-Unis, celles-ci étaient moins graves que pour d'autres pays. Le dollar restait la monnaie de référence internationale et jusqu'à nouvel ordre, c'était encore les Etats-Unis qui les fabriquaient. Leur puissance économique et financière leur donnait même des moyens pour contraindre leurs concurrents à se montrer coopérants.

Mais en Europe, le passage à des changes flottants faisait peser une incertitude sur tous les échanges. Désormais, les taux auxquels les différentes monnaies européennes s'échangeaient entre elles étaient susceptibles de varier au jour le jour. Avec les changes flottants, le marché commun, cette laborieuse tentative d'établir une certaine unité économique du continent européen, menaçait de couler.